Honda Civic Type-R

Loïc DEPAILLER
Publié le : 5 décembre 2018

Avant de commencer ce récit, il faut remonter quelques années en arrière afin de remettre les choses en perspective. En développant la précédente génération de Civic, Honda ne pensait pas initialement en dériver une version R. Ce qui a posé quelques problèmes aux ingénieurs lorsque le président de la marque a annoncé avant même le début de son développement qu’elle serait la plus rapide sur le Ring. Les compromis faits pour atteindre cet objectif ambitieux en ont certes fait une bête de piste, mais ailleurs la Type R 2015 manquait parfois cruellement de bonnes manières : les suspensions, pourtant adaptatives, étaient très fermes sur le réglage par défaut et réagissaient mal sur certains types de bitume. Ah ! et la garde au sol était si basse que la lame avant frottait sur la plupart des ralentisseurs et rampes de parking. Bref, pas invivable au quotidien (j’ai roulé pendant un an avec un exemplaire sans vertèbre soudée, descente d’organe ou menace de divorce) mais à cent lieues de la flexibilité d’utilisation d’une Golf R. Tout a changé lorsque nous avons pris en main pour la première fois le millésime 2017 de la Type R sur la piste du Lausitzring et les routes alentour : défauts éradiqués, qualités sublimées… Il fallait absolument la tester plus longuement et sur nos terres (l’Allemagne, c’est très surfait) et lui faire affronter ses concurrentes directes pour en avoir le cœur net. Cette Civic a-t-elle les épaules pour être la nouvelle référence du genre ? C’est ce que nous allons voir.

Mardi fin d’après-midi. J’arrive à Croissy-Beaubourg, fief de Honda Motor Europe, pour récupérer la clef (pardon, le transpondeur) d’une des toutes premières Type R 2017 livrées en France. Au programme, départ demain à l’aube pour rejoindre Orléans où m’attend un petit groupe composé de Bernard, notre photographe, Cédrik, David et surtout une Golf R et une Focus RS. La sortie de Paris et les 150 km d’autoroute qui s’ensuivent n’ont rien de glamour mais me permettent au moins de tirer plusieurs enseignements. Cette Civic est nettement plus facile à vivre que celle qu’elle remplace. Logique, non seulement elle est 100 % inédite mais elle a surtout été pensée en parallèle de la Civic classique : suspension arrière multibras plus complaisante sur les bosses et plus stable en appui, relocalisation du réservoir d’essence sous les sièges arrière, ce qui a permis d’ancrer plus bas les baquets à l’avant. Trop de GTI donnent à leur conducteur l’impression d’être perché sur un tabouret de bar, ce n’est pas le cas ici.

Autre “nouveauté”, toutes les informations du tableau de bord sont visibles à travers le volant. Ne riez pas, l’ancienne dispersait ses informations façon puzzle sur trois cadrans et deux écrans différents. Et encore, le design intérieur de la dernière Civic reste assez funky pour donner de l’eczéma à un ingénieur allemand. L’extérieur ? J’hésite entre le psoriasis purulent et la crise de tachycardie… Personnellement, j’adore leur look sans concession, l’ancienne semblait échappée d’un paddock de WTCC, la nouvelle ressemble plus à une WRC configurée pour l’asphalte. Mais il faut bien avouer que les deux sont comme Thérèse dans Le Père Noël est une ordure, elles n’ont pas un physique facile. Le côté extraverti de la Type R a également un effet secondaire assez inattendu : les propriétaires de sportives ont envie de jouer avec vous. Probablement histoire de vérifier si le ramage est à la hauteur du plumage. Mais pour l’instant, calé tranquillement au cruise control adaptatif à 140 km/h sur l’autoroute A10, je profite surtout d’un habitacle très correctement insonorisé et de suspensions d’une sérénité étonnante sur le nouveau mode Confort des amortisseurs adaptatifs et d’un écran tactile 7” à l’infotainment amélioré (intégration Carplay et Android Auto). J’en ai même profité pour jouer “sans les mains” avec l’aide au maintien en ligne, d’une efficacité étonnante. Dernier motif de satisfaction, la Type R hérite d’une finition revue clairement à la hausse et de tous les aspects pratiques de la Civic classique (en mode full option) avec un vide-poche intégrant une plaque de recharge à induction pour smartphone et en dessous un deuxième espace de stockage intégrant des ports HDMI et USB ainsi qu’une prise 12 V. Et entre les deux se dissimule un trou faisant office de passage de câbles. Malin.

Arrivée à Orléans, le comparatif se déroule sans accrocs avec des résultats surprenants (voir p. 110) et des prises de vue qui vont traînez comme d’habitude jusqu’à la tombée de la nuit. Une fois la dernière photo en boîte, Bernard devient mon copilote après avoir chargé son matériel dans le coffre ; direction Clermont-Ferrand.

Mais après tout juste 10 km, un truc me chiffonne. La Civic, si sereine en allant jusqu’à Orléans, fait plus de bruit qu’à l’accoutumée. Je ne découvrirai la source du bruit que 200 km plus tard en allant fouiller dans le coffre pendant une pause carburant : le son de l’échappement fait caisse de résonance avec le coffre et comme la banquette arrière est intégralement rabattue pour accueillir tout le matériel photo de Bernard, nous avons l’équivalent d’un échappement Super Sport. Après une séance de Tetris niveau 150, je réussis à fermer le panneau “2/3” mais les pieds en carbone de 2 m de long de son Rig nous oblige à garder le “1/3” ouvert. Ce sera donc un échappement Sport jusqu’à la fin du voyage… Bonne nouvelle en revanche, l’énorme aileron arrière ne pénalise pas plus que cela la consommation, le 2.0 l turbo de 230 ch se contentant d’un petit 8 l/100 km à vitesse stabilisée.

Arrivés vers minuit à Chamalières (voyez ça comme le Beverly Hills de Clermont), nous définissons le lendemain matin notre itinéraire jusqu’à Salers autour d’un petit-déjeuner. Ce sera Besse, Riom ès Montagne et le Falgoux avec un crochet obligatoire par le col de la croix Saint-Robert, route mythique du Championnat de France de la Montagne. La distance totale ne fait que 150 km et mon GPS indique un temps de trajet de presque trois heures. Sauf qu’ici, certaines routes tournent tellement qu’il est impossible de tenir un 80 km/h de moyenne, même en roulant le couteau entre les dents.

Une fois avalée la montée menant au pied du Puy de Dôme, nous entrons dans le parc des Volcans d’Auvergne. Visuellement, ça ressemble à la Terre du Milieu. Mais avec des poteaux électriques. Et la variété des routes et des paysages qu’on y trouve a de quoi donner le tournis : grandes courbes, enchaînements infinis de virages moyens, pif-pafs aveugles en sous-bois, épingles façon col de montagne, billard, gravier, nids de poule, profil concave ou convexe, et en guise de sucrerie des simples voies à double sens (avec la marche arrière sur 3 km qui va avec). Bref, un mix entre enfer et paradis qui servira de loupe grossissante pour révéler défauts et qualités de la Type R.

Ayant déjà amené l’ancienne Type R sur ces routes, je dispose ici d’une solide base de comparaison. Malgré les différences techniques entre les deux modèles, l’expérience de conduite est finalement assez similaire. On peut appeler cela l’ADN Type R : position de conduite et boîte de vitesses parfaites, freinage tutoyant l’inamovible référence Porsche, direction plus communicative que la moyenne malgré son assistance électronique… Dynamiquement, les différences sont sensibles mais pas transcendantes tant qu’on navigue sur du billard. Mais rajoutez des bosses dans l’équation et les différences deviennent soudain caricaturales. Le travail chaotique du train arrière à barre de torsion de la version 2015, induisant trop de variations de braquage en appui (oui, même un train arrière classique a un effet directeur). Combinée à un train avant qui avait tendance à se figer sous l’effet des remontées de couple, la tenue de cap sur les bosses était pour le moins problématique. La nouvelle survole tout cela sans broncher. Résultat, on passe toute la puissance au sol, partout, tout le temps, sans forcer. Le champ d’action des nouveaux amortisseurs adaptatifs est nettement plus large que sur la précédente CTR.
Avant, on avait le choix entre un mode Sport assez ferme pour donner à une Megane RS Cup des airs de Rolls Royce et un mode +R qui rigidifiait les suspensions de 50 % supplémentaires. Là, c’est le jour et la nuit. Désormais, on a le choix entre trois modes : Confort, Sport – le mode par défaut – et +R (15 % de rigidité supplémentaire). Tous sont parfaitement exploitables sur route, mais arrivés à mi-parcours, les trop grandes variations de qualité de bitume finissent par me fatiguer de changer perpétuellement de mode (une commande au volant “à la Porsche” plutôt qu’au pied du levier de vitesse aurait été une bonne idée), du coup, je décide de faire tout le reste en mode Confort, qui porte parfaitement son nom.

Calé ainsi, elle a gobé sans broncher 90% de ce qu’on lui a jeté sous les roues. Sur les 10% restants, seul un SUV équipé de suspensions pneumatiques. s’en serait sortit indemne. Certes, la pédale d’accélérateur est moins réactive, la direction perd en consistance et je regrette quelquefois de ne pas pouvoir débrayer le contrôle de stabilité (+R uniquement) mais, même réglée au plus soft, cette Type R ne se désunie jamais et le léger roulis supplémentaire n’entame en rien le côté scalpel de son incroyable train avant. À la différence de certaines sportives, qui ne sont vraiment sportives qu’en mode Sport et vraiment confortables qu’en mode Confort, la Type R est tout le temps une sportive confortable. Les modes ne servent qu’à optimiser son potentiel en fonction de ce qu’il y a sous ses roues. Autre motif de satisfaction, le train arrière, pas vraiment joueur sur piste, et plus volubile sur route ouverte. Et le talon-pointe automatique est devenu pour moi un gadget addictif. À son volant, on peut rouler vite partout, tout le temps. Ou pas, vu que les nouveaux amortisseurs permettent enfin de profiter de la Type R comme d’une compacte classique. Vous voulez cruiser tranquillement ? C’est exactement ce que j’ai fait avec elle sur les derniers kilomètres qui menaient à notre destination finale et c’est probablement une de ses plus grandes qualités.

Sur le chemin du retour, après presque 1000 km avec elle, mes perceptions ont changé. Son moteur, qui m’a semblé terne face à celui de la Golf et de la Focus, s’est révélé d’un agrément époustouflant. Si le temps de réponse du turbo a été réduit, il est toujours présent. C’est son seul défaut. Mais il prend des tours à n’en plus finir avec une belle allégresse et à faible et moyenne charge (soit 90 % du temps), quelques millimètres à la pédale de droite suffisent à vous propulser en≈avant avec une force peu commune. Pourtant la valeur de couple est inchangée, mais à faible charge il semble nettement plus présent. Volant moteur monomasse ? Démultiplication finale de la transmission réduite de 7 % ? Hum ! un peu des deux, mais je mettrais surtout cela sur≈le compte de l’accélérateur by wire électronique qui remplace l’ancien modèle à câble… L’insonorisation et le confort en léger retrait de la Golf R ? Oublié. L’interface un peu obscure de l’infotainment ? Je m’y suis fait. Le GPS toujours pas très réactif ? J’ai un smartphone. Non, mon seul regret, c’est qu’il faille rouler en mode +R pour désactiver le contrôle de stabilité. En jetant sous ses roues quelques-unes des routes les plus exigeantes de l’Hexagone, la Civic a très ponctuellement montré ses limites, mais n’a jamais crié grâce. Avec la précédente, je serais probablement resté au bord de la route après que les deux amortisseurs avant aient traversé le capot moteur…

La première Civic Type R turbo était un brouillon, celle-ci est un chef-d’œuvre avec un cosplay de Goldorak, aussi polyvalent qu’une Golf R, mais autrement plus enivrant. Vous n’êtes pas prêt à sauter le pas car son look vous rebute ? Vous pouvez la commander en noir, c’est salissant mais plus discret. Au besoin, vous pouvez rester anonyme en portant un passe-montagne au quotidien, ou un casque blanc comme un bon ami à moi. Mais le mieux pour vous convaincre, c’est encore de l’essayer. Précipitez-vous chez le concessionnaire le plus proche de chez vous, demandez à faire un tour de pâté de maisons puis rentrez subrepticement la destination “Salers” dans le GPS. Vous ne serez pas déçu…