Mon autre voiture est une Lamborghini… aussi


Publié le : 19 juillet 2019

Mes petits camarades de Top Gear ont l’air de bien s’amuser sur circuit. Grand bien leur fasse.

Je m’en voudrais de les écœurer avec ma centaine de chevaux supplémentaire, alors j’ai préféré partir de mon côté m’essayer à quelque chose de plus concret avec les Lamborghini.

Prenez un hors-bord : techniquement, c’est un moyen de transport, mais personne ne l’utilise de cette façon. On s’en sert pour s’amuser, pas pour se déplacer. Et entre deux petits tours sur l’eau, on le tracte derrière un SUV. Une Lamborghini Huracán Performante Spyder, c’est pareil. Sur le papier, elle répond à la définition d’une automobile, mais en tant que moyen de transport, elle manque à tous les devoirs les plus élémentaires. En revanche, sur une route bien choisie, ce sera un plaisir divin.

Et cette boucle autour des Pennines du Nord, serpentant entre Teesdale et Weardale, est justement une de ces routes. Sa largeur, la variété et la profusion de ses virages, l’excellente visibilité et le trafic clairsemé, sans oublier des panoramas à vous mettre la larme à l’œil à la sortie de chaque épingle… À ma connaissance, on ne fait pas mieux en Angleterre.

Cinq heures de trajet séparent cette route des bureaux de Top Gear, essentiellement de l’autoroute. Vous avez déjà jeté un œil aux sièges de la Performante Spyder ? Ce sont des baquets, des vrais, dont la coque (fixe) en fibre de carbone vous concasse les fesses et les épaules. Les fauteuils de l’Urus, eux, sont réglables électriquement dans tous les sens et disposent d’une fonction massage. Régulateur adaptatif engagé à 130, le moteur est à peine audible et dispose de 90 % de puissance en réserve (dixit un des cadrans). La hi-fi, le GPS et les assistances à la conduite sont le nec plus ultra de chez Audi. Urus ou Performante sur l’autoroute : vous feriez quoi, à ma place ?

Les gens de chez Lamborghini n’étaient pas vraiment chauds à l’idée de nous voir remorquer l’Huracán sur un plateau. Effectivement, ça pourrait laisser croire qu’elle est en panne. Mais bon, si votre assurance commence à vous envoyer un Urus comme dépanneuse, posez-vous des questions sur le montant de votre prime annuelle. Par ailleurs, nous voulions éviter autant que possible de faire la une des réseaux sociaux. Heureusement, il semble que les spotters de supercars fréquentent plus Knightsbridge et Monaco que les stations-service de la M1.

 

Lamborghini Urus Huracan

 

Au petit matin, je libère la Performante sur une aire de repos déserte. Elle descend de la remorque, se réchauffe un peu, et part faire ce qu’elle a à faire. On a écrit beaucoup de choses sur les talents du coupé sur circuit, notamment à propos d’un chrono sur la Nordschleife parfois jugé trop beau pour être vrai. L’aérodynamique active est en tout cas pour beaucoup dans son efficacité. Mais sur route, ce ne devrait pas être déterminant.

La remorque T6 de Brian James est un truc assez incroyable. Son vérin hydraulique, associé au museau relevable de l’Huracán, nous a évité bien des grincements de dents (et de carbone) au moment du chargement, et ses roues placées dessous lui permettent de ne pas déborder de la largeur de l’Urus (certes colossale). Les masses en jeu sont étourdissantes : 1,6 tonne d’Huracán avec le plein, 900 kg de remorque, et les 2,2 tonnes de l’Urus lui-même. Pourtant, pas de quoi faire transpirer ce dernier. Lors d’un drag race improvisé à la sortie d’une section en travaux, les 650 ch du V8 biturbo sont même parvenus à distancer le Jaguar F-Pace de l’équipe photo.

Là, le moteur s’est réveillé, mais le reste du temps, c’est à peine si l’on entend un murmure. Les bruits de roulement sont étonnamment discrets eux aussi, et la sono B&O n’a donc pas grand mérite à couvrir tout ça. À vrai dire, j’en oublierais presque que je traîne une remorque si le popotin de l’Huracán ne remplissait pas mon rétroviseur (nous l’avons chargée en marche arrière pour mieux centrer la masse du V10 entre les essieux, on est professionnel ou on ne l’est pas).

Sous prétexte d’enquêter sur ce que font les propriétaires de SUV avec leur SUV, Top Gear m’a chargé d’infiltrer la confrérie des caravaniers. Je m’arrête donc à Teesdale sur le parking réservé, où je suis étonnamment bien accueilli malgré la haine ancestrale que voue tout automobiliste à ces maisons roulantes de l’Enfer. Tout le monde s’extasie devant l’Huracán, mais personne ne remarque que mon autre voiture est aussi une Lamborghini. Une fois que je leur dis, ça les laisse bouche bée. J’avais prévu de planter ma tente ridicule ici et d’y passer la nuit. Mais je voudrais aussi me lever tôt pour aller emmener l’Huracán faire sa promenade dans la lande à côté. Et vu la fanfare que ça va être quand je vais démarrer à froid à 5 h du mat’, j’aimerais autant éviter de me faire lyncher. Direction l’hôtel, ce sera plus sûr.

Je me lance donc en mode Strada. Même pas Sport, sans parler de Corsa. Ça n’empêche pas le moteur d’occuper toute la scène. Une saisissante, émouvante, inoubliable ode à l’atmo. Dieu fasse que ce ne soit pas un chant du cygne… Comment peut-on songer un instant à abréger l’existence d’un moteur pareil ? Les pistons devraient être libres d’aller et venir à 8500 tr/min, les papillons d’admission de se gaver d’un air à pression ambiante, et les échappements de ne pas être assourdis et entravés par des turbines. Fulgurante, la vivacité du V10 Lamborghini est contagieuse dès le bas du compte-tours. Elle catapulte la voiture à mi-régime et au moment où vos petits doigts boudinés, trop habitués aux turbos, s’apprêtent à cliquer sur la palette de droite à 6000 tr/min, cet incroyable moteur prend une nouvelle dimension et continue son escalade à pleins poumons. Sa rage de vivre n’est finalement muselée que 2500 tours plus tard. Vous actionnez la palette, et c’est reparti pour un tour jusqu’au prochain rapport.

Des virages se profilent. Les disques carbone-céramique font leur office, et la voiture plonge à la corde. Elle se joue majestueusement des courbes, sans jamais perdre de son aplomb. Si vous la cherchez en seconde, l’arrière gigote un peu, mais rien de bien méchant. En règle générale, elle est sur des rails, même à des vitesses où l’aéro active n’est d’aucune aide. D’ailleurs, celle-ci n’est complètement fonctionnelle qu’en mode Corsa, mais ce dernier raffermit trop l’amortissement pour être utilisable sur cette route.

Le mode Corsa réduit aussi la démultiplication de la direction, mais je préfère une fois encore le mode Strada, qui ne transcrit pas la moindre bosse en un coup de volant involontaire. On dirait une Ferrari des années 1990, et ce n’est pas un mince compliment dans ma bouche. La suspension de la Performante est elle aussi suffisamment souple pour digérer ce mauvais revêtement sans faire d’histoires.

Au-delà des quantités colossales de G longitudinaux et latéraux, ce qui fait de la Performante une telle joie à conduire, c’est l’intensité du ressenti. Vous êtes directement en contact avec les pneus, vous sentez leur grip évoluer en temps réel. Le moteur, lui semble directement greffé à votre oreille interne et à votre système nerveux. Tout cela cheveux au vent sur ce Spyder, pour encore plus de sensations même au ralenti.

Je finis par regagner l’aire de repos, ne serait-ce que pour me calmer les sangs. Il est temps de débarrasser l’Urus de son attelage et de voir ce qu’il peut faire de cette route.

Lui aussi peut être extraordinairement rapide. Ce n’est pas pour rien que c’est le SUV le plus performant de la planète. Son poids ne lui fait ni chaud ni froid. Grâce à la magie de toutes les technologies châssis du groupe Volkswagen, il n’est jamais à court de grip, ne prend quasiment pas de roulis et se montre presque insensible au sous-virage, tout en restant plutôt confortable. Mais il lui manque cette connexion intangible qui peut rendre la vitesse si grisante. Le moteur et la direction sont aseptisés, le pédalier imprécis.

Bien sûr que l’Urus est redoutablement efficace. Au régulateur sur l’autoroute, même avec la remorque, il est quasi silencieux, indécemment luxueux et il se conduit presque tout seul. Il peut emmener 4 personnes et une flopée de bagages sur à peu près n’importe quel terrain. Objectivement, l’Urus sait tout faire.

C’est ça, le cœur du problème. Les Lamborghini sont des Lamborghini à cause de tout ce qu’elles ne savent pas faire. Elles ne savent pas emmener vos enfants et/ou vos affaires, vous dorloter, faire des compromis, vous laisser tranquille. Et elles ne savent pas passer incognito.

L’Urus, lui, en est capable. Les gens n’avaient même pas remarqué que c’était une Lambo, c’est dire. En usage normal, il ne fait pas trop de bruit, et se contente de la note générique d’un V8 turbo à 90°. Il n’y a que dans les modes les plus agressifs du sélecteur qu’il se met à crépiter, de façon totalement artificielle. À l’opposé, le moteur de la Performante déborde de caractère, et ce 24 heures sur 24. Le contraste est aussi visuel : la silhouette de l’Urus est celle d’un SUV parmi d’autres, simplement tailladée d’arêtes pour capter l’attention tant bien que mal. L’Huracán a les proportions d’une authentique Lambo et n’a donc pas besoin de surcharger chacun de ses panneaux de carrosserie.

La voiture bleue a beau être excessivement compétente dans tout un tas de domaines, je ne peux pas me résoudre à l’aimer. À l’inverse, la jaune est foncièrement inutile la plupart du temps, mais une fois dans son environnement naturel, elle est irrésistible. Il n’empêche qu’aujourd’hui, c’est la première qui nous a emmenés sur la route où j’ai pu tirer la substantifique moelle de la seconde, et rien que pour ça, je lui tire mon chapeau.