Rolls-Royce Phantom

Rowan HORNCASTLE • Cédrik ANDRÉ
Publié le : 30 octobre 2018

À partir de maintenant et pour 48 heures, je suis un client Rolls Royce lambda. De ceux qui possèdent un club de foot au lieu de le supporter. De ceux qui voyagent en Learjet plutôt qu’en Easy… Bref, nous nous rendons dans une bulle de luxe ouatée, Courchevel 1850, et, pour mieux me fondre dans le personnage, je vais donc voyager en Rolls Royce Phantom VIII. Une version longue (Long Wheelbase) qui tutoie les 600 000 €. En partant des installations immaculées de Rolls Royce à Goodwood en Angleterre, 1200 km de route nous attendent. Une petite trotte mais pas d’inquiétude, j’ai enfilé mon joli costume de nouveau riche et, en bon oligarque qui se respecte, j’ai demandé à Rolls un chauffeur pour pouvoir profiter de ma Phantom comme il se doit, c’est-à-dire de l’arrière.

Et le voilà. Non mais… attendez ! Ce crâne aérodynamique… c’est… ? Non, pas ça ! Ollie Marriage.

OM : Oh que si ! Je ne sais pas comment je me suis retrouvé embarqué là-dedans mais, si on veut faire les choses correctement, tu dois m’appeler… Nestor. C’est un bon nom pour un chauffeur, non ? Et comment je dois t’appeler ?

RH : Monseigneur de la Banquette Arrière.

OM : J’ai mieux : Roman Ahornovich. C’est bien dans le thème et, si tu perds ton boulot, ça pourra toujours te servir de pseudo dans ta nouvelle carrière d’acteur de films… eXplicites. Au fait, c’est quoi ces skis en or ? Et la véronique [porte-bagages, NDLR] ? Ne me dis pas que vous l’avez vissée dans la malle arrière ?!?

RH : Ça n’est pas votre affaire, Nestor.

OM : Je ne sais pas si tu perçois la moindre notion de distances de là-bas derrière mais nous avons à peine parcouru 20 km et j’ai failli m’arrêter au moins trois fois “dans” les voitures devant moi. J’ai d’abord cru que c’était dû au fait que la Phantom pèse sensiblement le même poids qu’un char Leclerc et que les freins étaient sous-dimensionnés, mais finalement je commence à croire que ça a été conçu comme ça, volontairement. On ne peut pas freiner. Pas vraiment. Vous pouvez attaquer la pédale aussi violemment que vous le voulez, le freinage est progressif. Et c’est la même chose avec l’accélérateur. Il est simplement impossible de conduire la Phantom de manière agressive. Bon, je vais tenter quand même. Au moins quand tu tenteras de boire une flûte…

RH : Je ne sais pas si c’est grâce à ta conduite, à la voiture ou… aux bulles, toujours est-il que nous avons déjà avalé le sud de l’Angleterre et je n’ai pas vu le temps passer.

Alors que nous approchons des contrôles d’identité d’Eurotunnel, Ollie “Nestor” Marriage fait éclater la bulle de sérénité et de silence qui nous enveloppait jusqu’ici en… ouvrant la fenêtre. Et là, il joue le jeu à fond :

« Passeports, s’il vous plaît », nous demande un policier de la Police de l’air et des frontières.

« Voici le mien et celui de mon client », répond Ollie.

Une légère gêne s’installe avant que notre consciencieux policier ne demande à voir “Monsieur”. Ollie se tourne vers moi pour me demander si je suis d’accord avant de baisser la vitre arrière. On nous laisse passer… avant de nous convoquer dans la zone de contrôle des drogues. Depuis l’arrière, je ne fais pas le malin. Tout comme quand Eurotunnel nous offre une escorte jusqu’au train avant de fermer l’accès juste derrière nous, devant le capot de la voiture qui nous suit. Et Ollie réagit tout de suite :

« Excusez-moi, cette voiture est avec nous. »

« C’est-à-dire ? » demande un agent d’Eurotunnel.

« C’est notre véhicule de sécurité. » Bon, en fait c’est la voiture qui transporte notre photographe, Mark Riccioni, et tout son matériel.

Quelques heures plus tard…

OM : C’est incroyablement reposant… Je ne sais pas si tu t’en rends compte, mais nous avons déjà fait plus de 220 km depuis Calais. J’ai retiré mes chaussures pour pouvoir profiter des moquettes comme toi et je n’ai qu’à effleurer le volant de l’extrémité de mes doigts en laissant Eleanore nous guider.

RH : C’est qui cette Eleanore ? Tu n’es pas tout seul là-bas devant ?

OM : C’est le nom que les connaisseurs donnent au Spirit of Ecstasy. Quoi qu’il en soit, le comportement de cet engin sur la route est incroyable. C’est tellement doux et apaisant, si calme… Et pour toi, comment ça se passe derrière ?

RH : En fait, j’ai décrété qu’on ne s’assoit pas dans une Rolls Royce. On y abandonne tout son corps à la douceur et à la volupté des fauteuils, on se laisse réchauffer, on se laisse masser, on règle le repose-pieds pour ajuster l’angle et on en profite surtout pour laisser s’échapper un peu du poids de la vie quotidienne.

OM : Inutile de parler aussi fort, tu peux chuchoter, nous sommes entourés par une double couche de double-vitrage et il y a 130 kg d’insonorisant de plus dans les garnitures de toit, de portes, et même dans les pneus !

RH : Oui, le silence et le calme sont impressionnants. En comparaison, l’habitacle d’une Classe S est aussi bruyant que le hall de la Gare de Lyon un 15 août…

OM : Mouais, pour ma part, j’ai un soupçon de bruit d’air en provenance des montants de pare-brise et des rétros. Mais à peine perceptible. En revanche, les branches du volant sont bizarrement positionnées. Je me demande si ça n’a pas été fait exprès pour empêcher le chauffeur de déconnecter totalement… Et pour le moment, pas d’histoire de conduite autonome chez Rolls. Il n’y a même pas d’assistance au maintien en ligne.

RH : Pour quoi faire puisque j’ai un chauffeur en costume pour ça ?!

OM : Pas faux. Je n’ai jamais connu de voiture qui isole autant du bruit ou du revêtement de la route. C’est comme si elle glissait 10 cm au-dessus du bitume. Elle est même économe. Avec un peu plus de 8 l/100 km, on peut rouler plus de 700 km avant de faire le plein. Avec tout ce que tu as bu, ta vessie sera pleine bien avant qu’on soit à sec ! Si nous ne voulons pas être en retard pour le dîner avec la Comtesse, je vais cravacher un peu le V12.

RH : OK, mais avant ça, j’aimerais déjeuner. Un œuf de Fabergé à la coque et un Orangina “on the rocks”, Nestor !

OM : Tu commences à prendre ça un peu trop au sérieux…

La Phantom arrive au pied des Alpes sans le moindre effort et la nuit tombe quand les premières neiges apparaissent au bord des routes. J’en profite pour admirer le ciel de toit étoilé – 1340 brins de fibres optiques posés à la main pour reproduire la voûte céleste dans votre Rolls – pendant qu’à l’avant Nestor peut admirer la “Gallerie” – c’est son nom –, une plaque de verre qui court sur toute la largeur du tableau de bord sous laquelle vous pouvez afficher ce que vous voulez. Des dessins de vos enfants, un original de Bansky ou votre feuille de classement au dernier Mud Day – si vous êtes allé au bout de la boue, la boue, LA BOUE ! Je m’égare…

De nuit, l’ambiance de la Phantom est encore plus cosy, intime et somptueuse. Je suis tellement détendu que je remarque à peine les derniers virages avant d’arriver devant le Six Senses Spa de Courchevel, pile à l’heure de la raclette à la truffe. En tous cas pour moi… Je demande à Nestor d’aller garer la voiture au parking souterrain. Et forcément, le lendemain matin…

RH : La voiture est encore sale. Je pensais avoir été clair…

OM : Tu sais que, comme toute chose, ma patience a ses limites… et là on y est. Ah oui ! j’ai quand même nettoyé tes skis avec les fixations en or. C’est tellement ridicule, je veux être sûr que tout le monde repère le crétin qui les chausse.

RH : Tu ne comprends décidément rien au style de vie des nantis… Quand tu côtoies les plus riches comme ici, il te faut quelque chose que les autres n’ont pas. Le sur-mesure est prépondérant pour Rolls Royce. Tu te souviens de la Sweptail, la voiture la plus chère du monde ? En fait, ce n’était qu’un début. La nouvelle plateforme de cette Phantom (qui supportera également les remplaçantes des Ghost, Wraith, Down et même de l’imminent SUV Cullinan) doit pouvoir offrir tout un monde de possibilités pour de la haute couture sur quatre roues. D’où mon idée de faire percer des trous dans la malle par les ingénieurs spécialisés du département personnalisation TopGear pour installer la véronique qui porte fièrement une paire de skis Oro Nero de chez Foil. Mais la version ultime, celle en chêne fossilisé vieux de plus de 8000 ans avec les fixations plaquées or 14 carats et une paire de bâtons assortis, également plaqués or, avec poignées en cuir pleine fleur cousu main. Classe ou pas classe ?

OM : Si tu n’y vois pas d’inconvénient, je vais garder mon avis pour moi, inutile d’être désagréable… Et en plus ils pèsent un plomb ! Euh, sinon, ça coûte… ?

RH : … un peu plus de 60 000 €.

OM : Et tu OSERAIS skier avec ?

RH : Oui. Je vais le faire. Mais plus tard.
Pour le moment, shopping !

OM : Quoi encore ? Des lunettes en platine ? Un manteau d’hermine ?

RH : Ça ne te regarde pas, dépose-moi au Lana.

Nestor m’ouvre la porte-suicide (ça fait toujours son petit effet) et je me retrouve sur le trottoir chauffé (si, si) devant l’un des hôtels les plus exclusifs de Courchevel. En entrant, je passe devant une dame dont la chirurgie esthétique est digne des effets spéciaux de Men in Black, un nabuchodonosor de vodka (la boisson locale…) et un ours polaire mécanique taille réelle. Étrange. Mais ce n’est pas qu’un hôtel puisque à côté du comptoir d’enregistrement il y a un pop-up store Rolls-Royce. Ça fait partie de leur campagne Hot Spot qui vise à installer des boutiques éphémères aux endroits stratégiques où se retrouvent les plus riches (Saint-Tropez, Saint-Moritz, Ibiza, Monaco pour n’en citer que quelques-uns). Celle-ci a ouvert il y a à peine une semaine. Elle a déjà vendu cinq voitures. Après que j’ai pris un repos bien mérité (…), Nestor, qui avait quartier libre, repasse me chercher.

RH : Ça sent les freins !

OM : Ah ? Bizarre, je ne sens rien (…). Alors, ces skis, tu les as testés ?

RH : Hum, pas vraiment. En bon milliardaire, j’ai profité allègrement du spa de l’hôtel et j’ai payé quelqu’un pour faire un saut au-dessus de la voiture en portant mes vêtements. Tu sais, pour mon compte Instagram. Mais je suis un peu lassé de tout ça. À l’altiport, Nestor.

OM : L’altiport ? Pour quoi faire ?

RH : Une piste pour avion privé au milieu des pistes de ski, ça devrait faire des images sympas, non ?

OM : Attends un peu. Tu ne m’as pas fait monter jusqu’ici pour admirer la vue ? C’est quoi cet avion doré ?

RH : Ça, mon bon Nestor, c’est un Pilatus PC-12 dessiné par Philippe Stark qui a voulu qu’il ait l’air d’un cigare de luxe volant.

OM : Je te vois venir, tu ne rentres pas en voiture avec moi ?

RH : C’est sûr, ce sera plus bruyant et moins somptueux mais assurément plus rapide. Nestor, nous allons faire la course jusqu’à Goodwood.

OM : Si tu veux. J’ai vu les prévisions météo, ils prévoient des orages et tu vas te retrouver bloqué ici si tu n’as pas pris les airs d’ici 10 minutes. Je vais aller garer la Rolls. En travers de la piste…

RH : Attends, je referais bien un tour à bord de cette Phantomavant de retourner à la vie normale.

OM : C’était bien, hein ? Ce que j’ai adoré, c’est l’effet de la Phantom sur les gens. Globalement, l’accueil a été tellement positif. Le mieux, c’était le choc en deux temps. D’abord la voiture puis, une fois passée, la vision des skis plaqués or en guise de “deuxième effet Kiss Cool”. Bonne idée d’ailleurs, bravo.

RH : Merci. La Phantom aura été un sublime carrosse du début à la fin. Tu connais l’expression qui dit : « Ce qui compte ce n’est pas la destination, c’est le voyage » ? Eh bien, il y a certainement d’autres voitures de luxe qui sont silencieuses, confortables, spacieuses, et qui permettent de voyager presque aussi bien que cette Rolls, mais absolument rien ne lui arrive à la cheville quand il s’agit d’arriver. Sortir de cette Phantom à Courchevel m’a donné confiance comme jamais. Historiquement, la Rolls Royce Phantom est l’Étoile Noire de l’opulence, l’expression ultime du raffinement et du savoir-faire automobile. Cette dernière itération ne trahit pas l’héritage, elle pousse l’aboutissement encore plus loin. C’est la voiture la plus luxueuse au monde.