Street Racers


Publié le : 3 octobre 2023

En 2009, Kelly Ann Waltz, résidente de l’État de Pennsylvanie, a trouvé la mort prématurément en faisant la toilette de son animal de compagnie bien aimé : un ours noir de 160 kg nommé Teddy. Pour l’Indonésienne Deasy Tuwo, l’idée saugrenue de vouloir garder captif un crocodile contre sa volonté s’est terminée de la même façon. Quant à Aleta Stacy, parmi les 75 espèces de serpents exotiques qu’elle conservait joyeusement dans son appartement new-yorkais, c’est la morsure de son mamba noir, qui tue en 20 minutes, qui lui a été fatale.

La perte d’une vie humaine est évidemment toujours tragique, mais tous ces exemples amènent la même question : « Ils s’attendaient à quoi, exactement… ? » Sans grande surprise, les grands prédateurs n’apprécient pas franchement d’être transformés en animaux de compagnie. Heureusement, la majorité des gens se contentent d’un labrador, l’équivalent canin d’une Golf. Comme ça, vous avez moins de risques de vous retrouver en chronique au journal de 20 h.

Oui mais… il y aura toujours des gens pour refuser le choix de la raison. Pour lire un guide d’achat et craquer pour exactement l’inverse. Pour “savoir” que la meilleure option est une Golf et pourtant décider d’acheter une voiture de course. Pas une sportive. Une vraie voiture de course avec des plaques d’immatriculation. Une panthère avec une laisse rétractable. Qu’est-ce qui pourrait mal se passer ?…

Les voitures de course homologuées route ne sont pas une nouveauté. Et beaucoup sont basées sur des voitures de route. Dans le cas des WRC, elles doivent même être capables de rouler sur la route pour participer à la compétition. Mais un pays a poussé le concept un peu plus loin que les autres. Un pays où la culture automobile frise l’obsession (comme pas mal d’autres choses…). Enfilez votre kimono livrée Gulf, direction le Japon !

La voiture est toujours reine ici. Pas seulement parce que le Japon est le troisième producteur automobile au monde (environ 9 millions chaque année), mais parce que l’ensemble de l’économie en dépend. L’automobile représente 89 % de l’industrie manufacturière du pays avec 5,5 millions d’employés. Et ça, c’est avant tout ce qui est préparateurs, garages et écuries de sports mécaniques.

Le Japon est également le berceau de disciplines comme le Time Attack, le drift ou le Touge Racing. L’amour du pays pour la course et son incroyable scène tuning en font un creuset idéal pour que de jeunes geeks fous de mécanique puissent y prospérer. Ils ont même un terme pour eux : les otaku. Ce qui signifie “jeune personne obsédée par certains aspects de la pop culture au détriment de ses capacités à conduire des échanges sociaux normaux”. Oh… ne vous sentez pas visé personnellement.

Tout un pays dont l’obsession de la perfection est un sport national et dont l’attention aux détails compulsive engendre forcément des gens qui… comme Maurice, poussent le bouchon un peu trop loin. Comme Junya Matsushita, qui nous avait offert une visite guidée de Tokyo à bord de son Impreza Prodrive ex-Colin McRae. Ou Takeshi Moroi qui nous avait fait découvrir Gunma au volant de sa Porsche 962C Le Mans dans notre supplément Le Mans Classic.

« Au Japon, la voiture incarne l’expression de soi et la liberté ultime, nous avait confié Junya. Beaucoup de gens, surtout dans des villes comme Tokyo, vivent toujours chez leurs parents. Leur voiture, c’est donc leur sanctuaire, leur aire d’expression. Leur chez-eux. Certains aiment être posés par terre, certains aiment les vieilles classiques, certains aiment les néons partout… Moi ? J’aime me sentir comme un pilote. Savoir que ma Subaru a été pilotée par des héros et qu’elle a couru un peu partout à travers le globe, ça me donne un sentiment qu’aucune voiture normale ne me donnerait. »

« Comme toutes les formes d’expression, ça offre différents niveaux, de celui qui veut juste avoir le look qui va bien à celui qui exige une expérience de conduite brute et sans filtre. Les voitures sont une extension de votre personnalité, après tout. Ça n’est pas parce que vous portez un costume 12 heures par jour que votre voiture doit refléter ça. » 

Nous prenons donc la route de Saitama – à 45 minutes de Tokyo – pour rencontrer trois potes qui semblent être restés bloqués sur une chaîne de sports mécaniques des années 90.

 

Question de style : Les Super Touring de Saitama

Au début des années 90, la FIA décide de remplacer les championnats de Groupe A par des championnats nationaux basés sur des berlines familiales 4 ou 5 portes produites au minimum à 20 000 exemplaires par an et équipées de moteurs 2 l atmosphériques dont la puissance avoisinait les 300 ch. C’est ainsi que sont nés le Supertourisme en France, le BTCC en Angleterre, le Super Tourenwagen Cup en Allemagne, etc. Le but était d’abaisser les budgets faramineux des Groupe A. Et c’est exactement ce qui s’est passé. Pendant un ou deux ans avant que ça n’enfle à nouveau. Avec des teams comme Toyota ou Williams qui a injecté de sa technologie F1 dans une Renault Laguna, il ne fallait pas s’attendre à ce que ça reste bon marché bien longtemps…

Mais ça nous aura au moins offert des voitures emblématiques. Des caisses de course posées par terre sur des jantes XXL (pour l’époque… avant le BMW XM et ses 23 pouces) et couvertes de livrées devenues iconiques. Ces formules ont marqué notre inconscient collectif dans les années 90 et, avec un léger décalage horaire, celui d’une partie de la jeunesse nipponne, dont Takeshi Akiyama, Niikura Kousouke et Masahiko Yamazaki.

« Quand j’étais petit, je regardais les sports mécaniques chez ma grand-mère parce qu’elle avait un récepteur satellite avec la télévision étrangère, explique Akiyama-san, propriétaire d’une Alfa 155. Je regardais le WRC, les 24 Heures du Mans, et aussi le BTCC pour voir des voitures qui ressemblaient à celle de mon père. Et je me disais qu’un jour je ferais pareil. »

« Je n’avais pas les moyens de faire de la course, mais je ne pouvais pas m’empêcher de regarder ces machines, comme l’Alfa 155. C’est leur fonction qui leur donne leur beauté, et il fallait les avoir bien accrochées pour rouler vite là-dedans. Dans la voiture ET dans le championnat. Je n’ai jamais vu la vraie voiture de course, mais depuis six ans, j’ai construit deux répliques – une dans la livrée 94 et une dans celle de 95. La sensation que procurent ces voitures est addictive. Je me sens comme le pilote de course quand je tourne la clé. »

Kousuke-san, qui décrit sa Volvo S40 avec passion à qui veut l’entendre, rêvait également d’être pilote de course dès son plus jeune âge. Mais pour Yamazaki-san et son Audi A4, c’est Gran Turismo 2 qui a déclenché son obsession de toujours pour le style Touring Car.

« Mes parents avaient une Audi, et quand j’ai vu l’Audi A4 Super Touring sur le jeu, je n’arrivais pas à croire qu’il s’agissait de la même base, se souvient-il. Beaucoup de fans de Gran Turismo aiment le jeu pour ses voitures japonaises. Mais ici, on l’adore pour ses voitures européennes atypiques ! Surtout les machines de course. »

Question de vitesse : Les compactes de Kanjo

Dans la culture tuning, la route Wangan entre Tokyo et Kanagawa est l’une des plus mythiques du Japon. Les voies sont larges et on y trouve de longues sections de lignes droites bien plates. Bref, un terrain de jeu idéal pour les voitures préparées, gavées de chevaux pour y atteindre des vitesses plus qu’inavouables. Mais c’est à Osaka que se cache la boucle de Kanjo – une route étroite et relativement courte qui offre un enchaînement de courbes serrées aux p’tits oignons. La puissance n’a pas d’importance ici, l’adhérence et l’agilité, oui. Et parce que c’est le Japon, il existe une sous-culture exclusivement pour cette boucle basée près d’Osaka. Imaginez des tractions compactes, légères et capables de tourner sur deux roues. Kanjozoku s’inspire des Honda Civic de Groupe A des années 90.

« Si vous voulez rouler vite, il vaut mieux commencer avec une voiture rapide à la base, s’amuse Daiki Ogata, dont la Civic Type R EK9 répond parfaitement à cette affirmation pleine de bon sens dès sa sortie d’usine. Quand j’étais jeune, la maison de ma tante donnait sur l’autoroute, alors je restais des heures à la fenêtre pour regarder passer les voitures. Quand j’ai eu mon permis, j’étais déjà accroc. Je suis devenu mécanicien, j’ai acheté ma première Civic et j’ai commencé à la préparer. »

Pour la Type R EK9 d’Ogata-san et la Civic EG6 de Yanagi-san, les décos ne sont pas là que pour le look, ce sont des livrées en hommage à l’époque qui les a inspirées, mais avec leur touche perso. « J’ai respecté le design de la Civic EF du championnat JTCC 1991. En revanche, attention : avoir le style et les sensations d’une voiture de course, c’est bien, mais vous devez également être rapide. »

Question d’homologation : Les monstres de Nagoya

Du côté de Nagoya, les choses sont un peu différentes. Et un peu plus extrêmes, comme le prouve la Lamborghini Gallardo Super Trofeo de Yasutada Takeda. Avec sa hauteur de caisse d’à peine quelques millimètres, ses air jacks et ses vitres en lexan, seule la petite plaque excentrée à l’arrière indique que cet engin a le droit de rouler sur route ouverte.

« J’ai travaillé avec une partie des mécaniciens et ingénieurs de la série Super Trofeo, et je me souviens m’être dit que ce serait une voiture amusante à conduire sur route ! nous explique Takeda-san. La direction est plus directe, la sonorité du moteur plus extrême, c’est spécial. Mais je crois que si vous conduisez une machine comme celle-ci sur route, vous devez aussi savoir comment la piloter. »

Pour Kyosuke Toda, 29 ans, piloter une vraie voiture de course sur route va bien au-delà d’une “simple expérience ultime de conduite”. Pour lui, cela fait partie de son style de vie. Les gens qu’il fréquente, ses amis, les événements auxquels il participe pendant son temps libre sont tous influencés par sa passion pour l’automobile, son amour pour sa Saker GT et la joie qu’elle distille partout où ils vont ensemble.

« Je suis né en 1994. Un peu tard… Du coup, je suis passé à côté de nombreuses voitures de course emblématiques, ajoute Toda-san. Quand j’ai grandi, j’ai voulu en connaître davantage, mais regarder des vidéos sur YouTube ne m’a pas suffi. Quand vous vous trouvez à côté d’une voiture comme la Mazda 787B, vous ressentez les vibrations du moteur dans votre corps. Une sensation que vous voulez faire durer le plus longtemps possible. »

« Le choix de la Saker GT a été facile. Je n’ai pas les moyens de m’offrir une vraie Groupe C, mais la Saker fait largement le job. Elle est née pour la course et déclenche des réactions partout où l’on va. Les enfants crient en la pointant du doigt, les jeunes font sauter la 5G à coups de live sur les réseaux, et les amateurs veulent en savoir plus sur elle. Et avec 750 kg pour 300 ch, elle n’a pas que de la gueule. Pour chaque sortie vous ressentez de l’excitation avant, pendant et après. Très peu de voitures neuves, même parmi les supercars, peuvent rivaliser avec ça. »

Toda-san vient de mettre le doigt sur ce qui met tout le monde d’accord autour de nous. Les sportives récentes sont probablement plus efficaces qu’elles n’ont jamais été. Elles vous permettent de vous déplacer plus vite que jamais mais elles ne vous transportent pas sur le plan émotionnel. C’est un peu comme dans le monde de la musique. Aujourd’hui, vous pouvez écouter n’importe quelle chanson, n’importe où dans le monde avec une qualité incroyable grâce à des plates-formes qui proposent des morceaux Hi-Res et des casques offrant une qualité sonore ultime. Pourtant, les ventes de vinyles sont à des niveaux records et en progression constante. Un format avec des imperfections, qui se dégrade avec le temps et qui demande du matériel, une installation… Bref, des efforts.

À mesure que nous nous rapprochons de la conduite autonome (que je ne verrai probablement pas de mon vivant), le désir d’une expérience de conduite sans filtre et sans compromis ne fait que grandir. Donc, dans un pays qui permet aux passionnés de rouler dans l’équivalent d’une panthère avec une laisse rétractable, il y a des chances que le phénomène ne fasse que grandir. Pour notre plus grand plaisir…