Voilà… c’est fini


Publié le : 14 septembre 2022

Prenez la plus petite et la plus agile de vos voitures, videz la baie moteur, arrosez de beaucoup de graisse et, avec un grain de folie (format menhir) et un pied de biche, débrouillez-vous pour faire entrer le plus gros moteur à votre disposition. Oubliez évidemment toute tentative de subtilité, ce serait peine perdue. Faites sauvage. Faites violent. Et faites-en un événement. C’est une recette qui a fonctionné pendant des années. Objectivement, ça ne donne pas les “meilleures” voitures mais des engins qui assument, et même revendiquent, leur brutalité. Pas des outils à proprement parler mais des armes, à coup sûr. Et dans cette optique, l’idée d’une Vantage qui aurait gobé un V12 n’est pas nouvelle à Gaydon. Voici donc le nouveau jouet des dandys bad boys, la nouvelle Aston Martin Vantage V12.

Depuis le temps, Aston Martin connaît bien cette recette et l’applique avec brio. Ici, le V12 5.2 biturbo des grandes sœurs DB11 et DBS Superleggera (dans une version 700 ch et 753 Nm de couple) a été logé sous le capot de la “petite” Vantage. Une Vantage qui a gagné en largeur et en aéro. En revanche, pas d’hybridation, pas d’efforts démesurés pour réduire la conso, pas de regrets et pas d’excuses. Une vraie caisse un poil sulfureuse à contre-courant qui s’assoit sur la bien-pensance et la subtilité habituelles des Aston.

Quand vous la verrez, impossible de ne pas savoir à quelle Vantage vous avez affaire. Sur le papier, des voies élargies de 40 mm sur une Aston, ça peut sembler timide. Perdu ! La V12 est large, massive… méchante. Une sensation renforcée par des appendices aéro qui font dans tout, sauf dans la dentelle. Cette voiture affiche ses performances comme on enfilerait un poing américain chromé. Ça commence à l’avant avec un nouveau bouclier et un nouveau capot carbone ouvert par un gigantesque extracteur en “u” qui va d’un pied de pare-brise à l’autre. Les ailes avant aussi sont en carbone et elles sont désormais reliées à l’arrière par de nouvelles jupes en… carbone (vous aviez deviné…) mais surtout d’un seul tenant d’une roue à l’autre, même cette partie qui remonte dans l’extracteur derrière l’aile avant. Le genre de pièce qui mériterait d’être exposée dans un musée d’art moderne. Ou dans mon salon (allô, Aston, le message est clair, non ?). Carbone toujours pour le bouclier arrière et le diffuseur doté de deux grosses ouvertures pour laisser passer la double sortie d’échappement centrale. Un échappement en métal mais affiné pour gagner en poids.

Si jamais vous étiez passé à côté, il y a enfin l’aileron carbone fixé sur une malle de coffre… en carbone. Notez que vous pouvez commander votre Vantage V12 sans l’aileron en question et qu’une fois que vous aurez vu la V12 dans une peinture moins criarde et sans la planche à repasser, je doute qu’elle figure encore sur le bon de commande. Surtout quand on sait que, d’après Aston, la Vantage V12 offre « des niveaux de stabilité à haute vitesse similaires » avec et sans l’aileron (bien qu’il y ait moins d’appui en général).

Et avec tout ce carbone, vous vous dites que la Vantage V12 doit compenser le surpoids du monstrueux V12 sous le capot par rapport à celui du V8. Le nouvel échappement permettrait de gagner 7,2 kg, les baquets carbone en option 7,3 kg et les freins carbone-céramique de série 23 kg et, au final, elle pèse toujours 150 kg de plus que la V8 Coupé.

À l’intérieur, vous risquez d’être un peu déçu. Les baquets à coque carbone sont sublimes ET confortables, mais ce que vous avez devant les yeux, le tableau de bord, est franchement daté. Dans un engin qui dépasserait les 300 000 €, l’écran central qui ressemble à une tablette Vtech pour enfant posé dans un vide-poche sur la planche de bord, ça fait tache. Dessous, on a l’impression qu’un gars a rempli le canon d’un fusil à pompe avec des boutons et a tiré sur la console centrale. À ce prix-là, on ne devrait pas laisser passer. Coller un badge “V12” au milieu d’une forêt de boutons n’est pas suffisant pour détourner l’attention.

Oui mais, soyons francs, personne n’achète ce genre d’engin pour la cohérence des boutons de son tableau de bord. Le seul qui compte est le bouton Start. Et croyez-moi, ici, il ne déçoit pas. Pied sur la pédale de frein, pressez-le et vous entendrez le vrombissement d’amorçage des pompes à carburant avant que le moteur ne démarre. Il prend vie en feulant un ton au-dessus des V8. Rhôôô c’que c’est bon. Appuyez sur “D” et vous voilà en mouvement, la boîte ZF à 8 vitesses réussissant à vous mouvoir à basse vitesse sans aucun à-coup, et sans chichi.

 

Bonne nouvelle, les premières impressions sont (très)positives. Il existe trois modes, Sport, Sport + et Track, les deux derniers étant rigides mais pas totalement inconfortables. Si vous regardez les specs, elle devrait être aussi souple qu’un skate-board en granit ; la rigidité des ressorts avant a augmenté de 50 %, 40 % pour les ressorts arrière, et les supports sont 13 % plus rigides. Au passage, les amortisseurs actifs ont été recalibrés et les trains roulants ont été revus, tout comme la direction pour rendre la voiture ultraréactive. Ouvrez le coffre et il y a même une barre de torsion qui ressemble à une poutre industrielle soudée qui traverse de part en part. Ce n’est pas joli, mais l’intention est là. Et pourtant, le V12 est capable d’une utilisation normale sans trop d’effort – ce n’est pas confortable, mais c’est utilisable. Un bout de ligne droite dégagé, je passe en Sport+, je tombe deux rapports avec la palette de gauche et je mets pied dedans. Mon visage passe silencieusement par tout le répertoire d’expressions faciales d’un mime de rue devenu fou : surprise, choc, incrédulité et, enfin, peur pure et simple. Mouais, j’ai oublié que j’avais éteint le contrôle de traction… Et ce qui a commencé comme un léger patinage des roues s’est rapidement transformé en un épais nuage de Michelin Pilot 4S. OK, la puissance est là.

En augmentant le rythme, il y a ce changement habituel avec les Vantage : ce qui semblait dense et un peu lourd s’allège à mesure que la vitesse augmente et vous finissez presque par avoir l’impression de conduire une autre voiture. La sensation de poids est inversement proportionnelle à la pression que vous mettez sur la pédale d’accélérateur.

La Vantage V12 fait également preuve d’un grip impressionnant (si vous ne la provoquez pas trop) et d’une direction précise qui permet de la placer où vous le souhaitez. En revanche, difficile de bien suivre une ligne en virage si le revêtement n’est pas lisse. Même sur le réglage d’amortisseur le plus soft, en virage bosselé la voiture rebondit et demande de corriger en permanence pour garder la ligne. Sous le capot, le V12 ne tourne pas comme une tronçonneuse, il y a une certaine inertie dans ses montées et ses baisses de régime, il lui faut un peu de temps pour rassembler sa puissance et son couple. Mais une fois que ça démarre, c’est enôÔôrme. Ça fait de cette V12 une arme absolue pour les grandes courbes prises à la limite de l’adhérence. Moins pour les petites routes sinueuses de montagne par exemple.

Après quelques heures de conduite sur différents types de routes, ça devient même un peu frustrant. Franchement et contrairement à ce à quoi je m’attendais, même si le V12 est très agréable à rouler, il n’est pas aussi rapide que certains de ses contemporains. Il produit son effort comme se forme une vague, une montée en puissance qui enfle à mesure que la zone rouge approche. Mais la voiture, elle, est comme un poing. On a l’impression qu’elle a besoin de quelque chose de plus rapide, de plus percutant, de plus agressif. Un moteur qui attaque dès le départ plutôt que de monter avec cette sophistication du V12. L’édition V8 F1 de la Vantage a globalement les mêmes perfs, à l’exception d’un dixième ou deux à l’accélération et de quelques km/h de moins en pointe – pas assez pour faire une énorme différence de sensations – et elle semble plus cohérente, plus agile.

Quant à la sonorité, elle est vraiment agréable, un gémissement qui enfle et se nourrit de sa propre montée en régime, mais il y a peu de chances qu’elle vous dresse les poils dans la nuque comme l’originale de 2009, atmo je le rappelle… Elle perd inévitablement en gamme vocale à cause de l’effet d’étouffement des turbos, mais l’ensemble aurait pu être un peu plus méchant.

Si vous vous demandiez si cette Aston V12 Vantage pouvait être une concurrente à la chirurgicale Porsche 911 Turbo S, la réponse est claire : non. L’Aston est théâtrale là où la Porsche est évidemment brillante, mais un peu trop obsédée par l’idée de tout bien faire, ce côté première de la classe qui peut parfois irriter. Ce n’est pas que le V12 n’est pas rapide – il l’est –, mais dans l’ensemble l’Aston est beaucoup plus “ancienne école”.

À la base, la philosophie petite voiture/gros moteur était un peu différente, en ce sens que le “gros” moteur signifiait généralement le plus puissant. Avec un (gros) décalage volontaire entre la masse et le muscle. Certes, si on s’arrête aux chiffres, cette V12 est encore la plus puissante des Vantage du catalogue, mais ce n’est pas la plus féroce. Et sincèrement, ce n’est pas la meilleure, ni la plus équilibrée. Ce qui pourrait ne pas être un problème sauf que, d’un autre côté, elle n’est pas non plus assez débile. C’est un peu un entre-deux qui a du mal à trouver sa place.

Mais qui n’a pas eu de mal à trouver son public. L’ensemble des 333 voitures a (évidemment) déjà trouvé preneur, vraisemblablement chez des personnes qui admettent les défauts, mais qui apprécient aussi les feux d’artifice et les sorties en beauté. Et, comme un feu d’artifice, le V12 s’éteint dans un grand bang, puis un fondu au noir – l’ex-patron d’Aston, Tobias Moers, avait déclaré que cette voiture sera la dernière des V12 Vantage alors que des groupes motopropulseurs plus “efficients” entrent dans le portefeuille d’Aston Martin. Une dernière danse pour quelques chanceux avant que l’éléctricité n’entre en piste.