Lamborghini Urus

Un miracle d’ingénierie et l’outil parfait quand on est très en retard pour déposer ses enfants à l’école.

Jack RIX • Loïc DEPAILLER 
Publié le : 24 novembre 2018

8 10
Le concept est intriguant et le résultat bluffant. Un SUV aussi rapide, c’est presque indécent.

« Soixante pour cent des gens achètent une Lamborghini pour son design”, m’explique Stefano Domenicali, le PDG de la marque, autour d’un plat de pâtes. Ça ne m’étonne pas du tout. Pour congeler les foules, décrocher des mâchoires et donner des torticolis, rien ne vaut une Lambo. Mais la frénésie mondiale pour les SUV a pris une telle ampleur que plus aucune marque – aussi prestigieuse soit-elle – ne peut se permettre de passer à côté d’une telle manne financière.

Il y a de la passion et une bonne dose de flair dans l’Urus, autoproclamé “premier super-SUV” et deuxième Lamborghini capable de s’aventurer ailleurs que sur du bitume depuis l’extravagant LM002. Mais son objectif n’est pas d’attirer l’attention (enfin… pas que), il doit surtout permet à Sant’Agata de doubler les ventes en passant de 3500 à 7000 exemplaires produits chaque année. Il est donc le fruit d’une étude de marché approfondie. L’Urus partage avec les Q7, Cayenne et Bentayga le même châssis et la même technologie embarquée mais, pour réussir, elle doit aussi avoir de l’ADN Lamborghini.

Commençons par le bruit. Ne vous attendez pas à ce que l’Urus vous gratifie des mêmes vocalises que les membres de sa famille à moteur central arrière. Sa mélodie n’est pas déplaisante – un grognement sourd et inquiétant qui s’intensifie en prenant des accents métalliques à mesure que l’aiguille grimpe vers le rouge – mais il ne peut pas lutter face à des V10 et V12 atmosphériques.

Côté performances en revanche, pas besoin d’un test en paternité, l’Urus déménage sévèrement. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le V8 biturbo développe 650 ch et 850 Nm dès 2250 tr/min. Et s’il ne prend pas que 6800 tr/min, il peut vous broyer les côtes à chaque accélération, peu importe le régime ou le rapport sur lequel vous vous trouviez… Et pourtant, il y en a huit !

Sur la piste de Vallelunga, la manière dont se comporte cette familiale haute sur pattes de 2,2 tonnes est à peine croyable, solide sur ses appuis, virant à plat, météorique dans ses relances. Sur un tour chrono, elle ne doit pas être loin d’une Huracán. Le secret de sa vélocité se cache bien évidemment dans sa technologie embarquée. Quatre roues directrices qui font braquer l’arrière de ± 3 degrés. À basse vitesse, cela veut dire que l’empattement virtuel de l’Urus est plus court que celui d’une Huracán – pratique dans les épingles et les parkings étriqués. Et à (très) haute vitesse, cela se traduit par une stabilité impériale. Sur Vallelunga, dans le grand gauche à la fin de la ligne droite des stands qui se négocie pied au plancher sur le cinquième rapport, une légère inflexion des poignets suffit. L’Urus va exactement là où on lui demande d’aller. La direction semble déconnectée du train avant tant elle manque de conversation, mais elle est directe et précise.

Et puis il y a aussi les barres antiroulis actives, capables de raffermir les suspensions extérieures dans les virages rapides pour contrecarrer la force centrifuge ou se découpler totalement pour digérer un chemin de terre défoncé. De tous les trucs high-tech dont dispose l’Urus, c’est ce dispositif qui est le plus impressionnant. Faire virer à plat un monstre de 2,2 tonnes avec un centre de gravité aussi haut placé tout en continuant à laisser travailler normalement les suspensions dépasse l’entendement. À ce niveau-là, ce n’est plus de la science mais de la sorcellerie. La transmission finale aussi a un petit côté magique. L’effet combiné du différentiel central Torsen et du différentiel arrière actif annihile virtuellement toute forme de sous-virage à l’accélération.

Dans ce concert de louanges, tirons aussi notre chapeau aux freins, du carbone-céramique d’origine (en même temps, c’est un minimum), les plus gros jamais montés sur une automobile de production. Stopper aussi rapidement 2,2 tonnes lancées à plus de 200 km/h force le respect, même si le miracle ne dure que trois tours, comme chez les autres SUV sport. Le seul maillon faible qu’on pourrait pointer du doigt, c’est la boîte de vitesses. Sur le mode le plus énervé (Corsa), les montées de rapport s’accompagnent d’un à-coup aussi artificiel que désagréable et les rétrogradages sont léthargiques. Tout rentre dans l’ordre sur route en mode Strada. Douceur, volupté, velours… Vous connaissez la chanson ; pour cruiser, c’est l’extase. Nous avions peur que les gigantesques roues de 23 pouces soient invivables en conditions normales – les courses, celles chez Auchan – mais à part quelques trépidations sur les pires sections de notre parcours, l’Urus s’acquitte des tâches mondaines avec aisance et décontraction.

Vous aimez les modes de conduite ? Il y en a plein ! En grimpant sur l’échelle de l’agressivité, il y a Strada puis Sport et Corsa. Les deux derniers sont plus fermes et abaissent les suspensions pneumatiques de 15 mm tout en durcissant la direction, aiguisant la réponse de l’accélérateur et de la boîte de vitesses et libérant l’échappement. Sinon, vous pouvez aussi vous bricoler un mode personnalisé baptisé Ego. Je vais vous faire économiser du temps : sur piste, c’est Corsa ; pour la route, choisissez le mode moteur le plus agressif, le réglage du milieu pour la direction et les suspensions au plus souple. Trois modes supplémentaires permettent de se mettre au vert : Terra, Sabbia, Neve (terre, sable, neige). Passez de Strada à n’importe lequel des trois et la garde au sol gagne 40 mm. Bon, l’Urus n’ira jamais chatouiller un Discovery ou un Land Cruiser en off-road, mais sur un circuit de terre ce SUV peut encaisser des bosses à bonne allure et adopte des postures ridicules dès que l’adhérence devient précaire.

Le design, c’est subjectif. Mais les poignées des portes arrière ancrées sur les arches de roue, piquent un peu les yeux. Sous certains angles, c’est juste bizarre. Sous d’autres, ça ressemble à une erreur d’assemblage à l’usine, un truc posé à l’arrache un vendredi soir trois minutes avant de débaucher… Devant, il se passe plein de choses, mais ça part un peu dans tous les sens. Si vous n’êtes ni rappeur ni footballeur, suivez mon conseil : choisissez plutôt des couleurs sombres, ça harmonisera un peu l’ensemble.

Le dedans ? On peut y caser confortablement quatre rugbymen de 1,85 m et derrière, il reste 616 l pour y ranger leurs bagages. Devant, le poste de pilotage ressemble aux cousines supercars mais sans le côté claustrophobique. Et les sièges ne sont pas non plus les instruments de torture typiques de la marque mais des éléments confortables et réglables dans tous les sens. L’intérieur fleure bon le high-tech et la qualité allemande mais le filtre Instagram est bien d’origine Lamborghini. Hexagones, angles saillants partout et plein d’alcantara, les mâles alpha vont adorer. Le double écran est emprunté à l’Audi A8, tout comme le tableau de bord virtuel, la finition est irréprochable… Elle va plaire, c’est certain.

Quel que soit le bout par lequel on la prend, l’Urus impressionne. Reste que 205 715 €, c’est une sacrée somme. Avec ça, vous pouvez vous offrir un Range Rover Velar blindé d’options plus une Porsche 911 pour le week-end. Ceci étant dit, on ne peut qu’être admiratif devant ce qu’a réalisé l’Urus. Ce SUV a attrapé par le col les règles fondamentales de la physique et de la dynamique, puis les a réduites en poussière. Il n’y a pas de réelle connexion entre le pilote et la machine, mais ça, aucun SUV n’a réussi à le faire, donc… Et puis les carnets de commandes sont pleins pour les deux prochaines années. Si la demande ne faiblit pas, il financera le développement de supercars encore plus extravagantes qu’aujourd’hui et même (dans un futur plus lointain) des Lamborghini électrifiées qui émoustilleront nos vieux jours. Donc vive l’Urus !

En savoir plus à ce sujet :