Joyeux anniversaire Schumi

Le rédacteur en chef de Top Gear UK se replonge dans ses souvenirs pour les cinquante ans de Michael Schumacher.

Charlie TURNER • Niels de GEYER
Publié le : 3 janvier 2019

Il paraît qu’il ne faut jamais rencontrer ses héros. Dans ce monde où la célébrité est souvent frelatée, on court le risque d’être cruellement déçu.

Mais pas toujours. J’ai eu la chance de rencontrer pas mal de mes héros. Même si l’adage s’est confirmé pour certains d’entre eux, la plupart étaient largement à la hauteur de leur légende, et faire leur connaissance n’a fait que renforcer mon admiration pour eux.

Puis il y eut Michael Schumacher. Nous nous étions déjà croisés brièvement un certain nombre de fois dans le cadre de mon précédent job auprès de Bernie Ecclestone, mais je rêvais de rouler avec lui, histoire de voir comment les qualités qui l’avaient mené à sept titres mondiaux s’exprimaient au volant d’une voiture de route. L’opportunité est arrivée lors d’une journée caniculaire de juin 2009, sur le circuit d’essai de Ferrari à Maranello. Et je m’en rappellerai pour le restant de mes jours.

Je vous pose le décor : depuis son départ en retraite fin 2006, Schumacher avait endossé un rôle de « consultant » chez Ferrari et participé au développement de nombreuses voitures de route ; j’avais été invité à le rejoindre à Fiorano pour quelques tours à bord de la nouvelle 599 GTB. Il n’a pas fallu me le demander deux fois.

Tout ce dont je me souviens, c’est de m’être laissé tomber dans le siège passager et d’avoir bredouillé que j’étais vraiment heureux d’être là. Michael s’est contenté de sourire et m’a demandé : « Alors Charlie, tu préfères y aller propre ou bien en drift ? » J’ai eu une demi-seconde pour étudier la question avant qu’il y réponde lui-même : « On commence en drift, et ensuite on fait un temps ? ». « Ça me va », ai-je répondu avec mon sens de la répartie légendaire.

Et nous sommes partis. Tout est devenu flou et assourdissant, tandis qu’il attaquait Fiorano le couteau entre les dents et que je regardais le circuit défiler par les vitres latérales. Je me souviens très bien que des repères avaient été disposés sur chaque virage pour indiquer les points d’entrée, de corde et de sortie lors des essais presse un peu plus tôt dans l’après-midi. Schumacher a dégommé proprement chacun des plots de sortie avec les pneus arrière, driftant de virage en virage avec une précision surnaturelle. Il n’était pas juste bon, il était incroyable. Et il y prenait plaisir : à chaque fois qu’il caressait un cône, il le regardait valser dans le rétro avec un petit sourire.

Le plus impressionnant ? Même s’il était en train de rouler à un rythme qui occuperait toute la bande passante chez n’importe quel mortel, il bavardait tranquillement avec moi comme si nous étions dans son salon. C’était époustouflant, jusqu’à ce que la démonstration tourne court : en sortant de la section du pont pour se jeter dans l’épingle du virage 6, Michael a un peu trop forcé, sans doute pour maintenir son taux de réussite à 100 % sur les plots, et nous sommes partis en tête-à-queue.

« Tu as fait un tête-à-queue ! », me suis-je esclaffé (démontrant une nouvelle fois toute l’étendue de mon vocabulaire). Il a ri jaune, m’a prié de l’excuser et a grommelé quelque chose à propos de « réglages »… Je retrouvais le pilote de F1. Qui était humain, finalement. Après un donut expéditif, nous étions repartis et finissions notre moisson de plots avant d’enchaîner sur un tour rapide.

Et là, l’attitude de Michael a changé. Ce tour comptait, et devait me démontrer les performances de la voiture ainsi que sa propre capacité à en tirer le maximum. Sa science du pilotage était hypnotisante. Il était précis, sur le fil du rasoir, prodigieusement rapide. Mais aussi calme, impassible, une formidable leçon. Je n’ai eu droit qu’à quelques tours, mais j’ai très vite saisi : pas besoin d’être son passager bien longtemps pour comprendre que Michael Schumacher était sur une autre planète, tout simplement.

Depuis, j’ai conservé précieusement ces tours dans ma boîte aux trésors mentale. C’est la dernière fois que j’ai croisé Michael avant la tragédie qui l’a frappé. Il était et demeure une légende, qui n’a jamais failli à sa réputation. Extraordinairement doué, il était modeste dans sa réussite, qu’il évoquait avec beaucoup d’humour. C’était toujours un plaisir de passer du temps en sa compagnie.

Le mot « héros » est un peu galvaudé de nos jours, mais dans le cas de Schumacher, il était et reste parfaitement approprié. À la santé des après-midi ensoleillées, des Ferrari et de Fiorano. Et d’un héros qui n’usurpe pas ce titre. Keep fighting, Michael.

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