Aston Martin DB12

La décevante DB11 a droit à une réincarnation : cette DB12 pourra-t-elle absoudre tous ses péchés ?

Ollie MARRIAGE
Publié le : 6 février 2024

9 10

Des qualités dynamiques inédites et un intérieur moderne font de la DB12 l’Aston Martin la plus accomplie que nous ayons conduite depuis des années. Et une voiture enfin assez talentueuse pour défier Porsche ou Ferrari à la loyale.

Les plus Dynamisme transfiguré, habitacle enfin à la hauteur, polyvalence en nette hausse
Les moins Evolution stylistique timide, places arrière et coffre toujours aussi peu accueillants, tarif

Il est 4 h du matin et Monaco, cette principauté-vampire qui ne vit d’habitude que la nuit, est mortellement calme.

Peut-être qu’ils y sont allés un peu trop fort ce week-end. Celui du Grand Prix. Je slalome entre les semi-remorques, les chariots élévateurs et les manutentionnaires, occupés à effacer les traces du crime. Monaco ne veut manifestement pas que ce spectacle peu glamour ait lieu au vu de tous, alors les écuries opèrent dans le noir, tels des pilleurs de tombes.

La DB12 se fraie un chemin. Je peux déjà ressentir tout le chemin parcouru depuis la DB11. C’est fou tout ce qu’on peut déduire d’un simple dos d’âne. Compression sereine, rebond maîtrisé, aucun mouvement de caisse superflu, ça s’annonce bien pour la suite. Mais les voitures comme celle-ci sont appelées à passer leur vie en ville, alors autant commencer par là. Avec un petit twist.

L’avant-veille, Fernando Alonso a fait virevolter son AMR23 en 71,449 s en qualifs pour la hisser en première ligne. Et la moindre des choses est que les Aston routières capitalisent sur le succès actuel de la marque en F1, alors voyons comment la DB12 se comporte sur le tracé de Monaco.

Le V8 biturbo glougloute paisiblement dans la montée de Sainte-Dévote à Massenet. Assez fort pour qu’on l’entende, mais tout en rondeur. Je contourne avec précaution une voiture de police avant de faire mon entrée sur la place du Casino. Quelqu’un me lance un regard appuyé, puis tourne les talons. Sûrement parce qu’elle s’est dit qu’elle aurait plus de chances d’avoir un client si c’était une Lamborghini… On sent la DB12 affûtée dans la descente sinueuse de Mirabeau au Portier, la suspension ne s’affaisse pas, la confiance est là. Plus important, Aston a dégagé un peu l’angle des montants de pare-brise autour des rétros, au profit de la visibilité dans les croisements. Tant mieux pour ce scooter qui ne m’avait pas vu dans l’épingle du Grand Hôtel.

Dans le tunnel, d’autres policiers veillent à ce que je ne batte pas le chrono de Fernando, tandis que la Nouvelle Chicane est barrée pendant le démontage. À la place, je me glisse par un trou dans le rail juste avant le Bureau de Tabac. Jusqu’à la Rascasse, les virages sont plus typés GT. Je bouge à peine les poignets pour les relier. Ensuite, une fois avalée la ligne droite des stands, je prends la tangente à gauche à Sainte-Dévote, pour m’extirper du Rocher alors que le ciel commence à rosir. 4 minutes, 25 secondes.

J’ai déjà dans l’idée que la DB12 est l’Aston la plus accomplie que j’aie jamais conduite. Quelque chose dans la réponse de l’accélérateur et de la direction, dans la façon dont elle s’exécute chaque fois si calmement. Est-ce vraiment ce qu’Aston souhaite ? Ils la vendent comme la première “super GT” de l’histoire, mais c’est une appellation qui nous trottait déjà dans la tête pour parler d’une 911 Turbo ou d’une Ferrari Roma. Des voitures plus intenses à conduire que ce que la DB12 laisse entrevoir jusqu’à présent.

La DB11 n’était pas une mauvaise voiture, mais elle a vieilli très vite avec sa planche de bord cheap et mal fichue, et son système infodivertissement Mercedes préhistorique. Dynamiquement, elle était très agréable à mener à 70 % de ses capacités. Au-delà, la suspension ne suivait plus, et l’on cherchait en vain du rythme et de la motricité dans le sinueux. La mission de la DB12 est d’abord de corriger ces lacunes.

Si l’on s’en tenait au style, on pourrait croire que rien n’a changé ou presque. Elle est un peu plus agressive, mais en restant à bonne distance de la bestialité d’une DBS. Ce pourrait être un simple restylage. C’est forcément en dessous qu’ils ont tout dépensé.

La plate-forme reste la même, mais avec des renforts pour la rigidifier. La suspension, à double triangulation à l’avant et multibras à l’arrière, est également reconduite. La principale nouvelle, c’est peut-être ce qui n’est pas là : il n’y a ni V12, ni système hybride. Les normes anti-émissions ont eu raison du premier, le second aurait coûté beaucoup trop cher à développer. Malgré son badge, la DB12 reprend le V8 4 l biturbo introduit en 2018, boosté à 680 ch et 800 Nm. Oui, c’est beaucoup. Tout cela passe toujours aux seules roues arrière via une boîte auto 8 rapports au rapport final plus court. Le 0 à 100 km/h est annoncé en 3,6 s.

Je suis actuellement sur l’A8, sûrement l’une des autoroutes les plus sinueuses de la planète, longeant la Côte d’Azur quelques km à l’intérieur des terres. La DB11 y était comme chez elle, à un détail près : les bruits de roulement. On n’y pense plus sur la DB12, dont les nouveaux Michelin Pilot Sport S 5 intègrent des mousses antibruit qui font merveille sur ce terrain. La boîte, elle, fait très bien sa vie toute seule. De toute façon, il y a tellement de couple que le choix du rapport importe peu. La meilleure visibilité rend les changements de file plus instinctifs. On l’a mieux en main, elle est plus rassérénante. On n’est pas dans une bulle comme au volant d’une Conti GT, ça reste une sportive dans l’âme. Mais si, au lieu de sortir dans 30 km, je devais remonter à Paris avec, ça ne me ferait absolument pas peur. Ce serait d’ailleurs l’occasion de tester la nouvelle hi-fi Bowers & Wilkins.
En grand tourisme, le nouveau cockpit fera bien plus la différence que les liaisons au sol. Cette voiture est totalement métamorphosée de l’intérieur. L’écran central, désormais situé sous les aérateurs, est moins intrusif et moins tape-à-l’œil. Ce n’est plus la technologie que l’on remarque, c’est la qualité globale.

Il s’agit cependant du premier écran tactile sur une Aston. Mieux vaut tard que jamais… Il donne accès à un système infodivertissement maison, et non plus à une resucée de Mercedes d’il y a deux générations. Le dessin de la console centrale, lui, évoquerait plutôt Porsche : le mini-sélecteur de boîte à impulsion, entouré d’une batterie de boutons physiques et de molettes de navigation, de clim et de volume sur un plan quasi horizontal. L’ergonomie est infiniment meilleure, il y a plus de rangements, on respire mieux. La position de conduite, autour d’un volant de nouveau presque rond, est parfaite, notamment grâce au dessin somptueux des sièges. Aucune raison de cocher les baquets carbone optionnels. C’est fou comme Aston a haussé son niveau de jeu.
Certes, les places arrière sont toujours aussi anecdotiques, et le coffre aussi peu pratique à cause d’une ouverture étriquée. Mais à deux, on profitera pleinement de l’expérience et de l’atmosphère.

Les choses sérieuses commencent avec le col de Vence et la route Napoléon, véritable paradis de la conduite. La DB11 s’y montre imperturbable dans les épingles. Moteur et châssis fonctionnent avec une harmonie qu’on ne leur connaissait pas, prenant le relais l’un de l’autre sans jamais casser le rythme. Quel que soit l’angle d’un virage, dès l’inscription, on sent l’arrière se ramasser pour aider l’avant, les deux roues extérieures dessinant une courbe parfaite. En sortie, on peut maintenant remettre les gaz sans aucune arrière-pensée. La puissance passe au sol sans réactions parasites. C’est maîtrisé, c’est engagé, on ne se pose pas de questions.

Et l’on se prend au jeu. La DB12 n’est peut-être pas aussi tranchante et déterminée qu’une 911 Turbo, ni aussi surexcitée qu’une Roma, mais elle n’en est pas moins profondément satisfaisante, dans une veine plus flegmatique, plus raffinée. L’émotion a beau être moins immédiate et moins viscérale, vous vous rappellerez ces moments avec délice. La DB12 se hisse jusqu’au col de Vence sans forcer, mais elle est encore davantage dans son élément quand le parcours devient plus roulant. Ses défauts ? Une direction qui manque de naturel – mais c’est peut-être aussi ce parti-pris qui met tant en confiance –, et des freins carbone-céramique optionnels qui ont avoué des faiblesses. On cochera cette option pour les 27 kg de gagnés sur les masses non suspendues, pas pour un hypothétique surcroît de dynamisme.

Le moteur n’a rien d’explosif ou de strident, il en donne juste partout, tout le temps. On en a toujours encore un peu sous le pied. Des perfs de supercar, dispensées avec la dignité d’une GT. La mégaforce tranquille, sur une bande-son délicatement rauque. Jamais on ne sent la DB12 dire au revoir à sa zone de confort. Elle reste d’un bloc, même lorsque je coupe le contrôle de traction pour qu’elle puisse de dégourdir le popotin dans une épingle trop tentante.

Nous arrivons à Gréolières-les-Neiges, station de ski qui risque de moins bien porter son nom dans dix ans. Nous nous arrêtons pour faire quelques photos. La DB12 ne révolutionne peut-être pas le style de la marque, et sa calandre commence vraiment à être énorme, mais force est de reconnaître qu’Aston sait dessiner de jolies autos. Et leur concocter le nuancier qui va avec. Ce vert Iridiscent Emerald est de plus en plus flatteur à mesure que le soleil se rapproche de l’horizon.
De Monaco à Gréolières, il y a à peine 40 km à vol d’oiseau, mais on est sur une autre planète. C’est calme, là-haut. Pour autant, l’Aston a l’air aussi contente d’être là qu’elle l’était de se pavaner dans les rues de la Principauté 15 heures plus tôt. Le trajet retour achève de convaincre de ses qualités. C’est simple, je n’arrive pas à la prendre en défaut. Quoi que je fasse, elle est là, prête à répondre à ma prochaine lubie. Elle est docile, stable, impassiblement élégante. Dit comme ça, on pourrait croire que je m’ennuie en sa compagnie. Il est vrai qu’elle n’est pas aussi émoustillante qu’une Porsche ou qu’une Ferrari. Ces deux-là sont plutôt du côté “super”, une Continental du côté… “GT”, c’est marqué dessus. La DB12 se situe en plein milieu du spectre (rien à voir avec la Rolls), et elle est capable de pousser le curseur d’un côté ou de l’autre avec le même talent, sans jamais perdre sa contenance.

Par pure conscience professionnelle, je repars faire un tour sur une spéciale du Monte-Carlo le lendemain matin. Le long museau et la carrure XXL de la DB12 y freinent les ardeurs, mais c’est tout. Je ne regrette même pas le V12, qui était moins réactif et aurait peut-être semblé d’autant plus paresseux maintenant que le châssis est si fringant. L’hybride ? Non merci. Il aurait sûrement fallu renoncer au V8, et embarquer plusieurs quintaux supplémentaires.

Je termine sur une placette dans un village de carte postale. Devant un café et un croissant, je philosophe en contemplant la DB12. Ça, c’est une Aston, et un grand cru. Ce n’est pas le cas de la Valkyrie, par exemple. Trop de problèmes de mise au point, trop de compromis. Mais ça… Voilà une auto à conduire et à vivre. Elle subjugue tout le monde sur son passage, vous en demande peu – on parle de conduite, pas de finances, snif ! – tout en vous donnant beaucoup. Une voiture dans laquelle je me verrais parfaitement rouler au quotidien. Et revenir à Monaco par les petites routes.

En savoir plus à ce sujet :

Aston Martin DB12

Année
2023
Prix mini
227000 €
Type de moteur
Thermique
Longueur
4725 mm
Largeur
1980 mm
Hauteur
1295 mm
Poids
1780 kg
Boîte de vitesses
automatique
Nombre de rapports
8
Transmission
propulsion
Puissance
680 ch
Couple
800 Nm
0 à 100 km/h
3,6 s.
Vitesse max
325 km/h
Conso
12,2 l/100km
Rejets
276 g/km CO2