Bugatti Bolide

C'est l'heure du bouquet final pour le légendaire W16 Bugatti. Suivez-nous sur le Paul Ricard au volant de la monstrueuse pistarde de Molsheim.

Ollie MARRIAGE
Publié le : 12 mars 2025

9 10

« La Bolide a beau être une pistarde de 1600 ch, elle est facile, docile, accommodante, sans rien de piégeux »

Les plus Moteur d'anthologie, performances démentielles, docilité incroyable
Les moins Trop facile ? On l'attend toujours aux 24 Heures du Mans.

Question simple : c’est comment à conduire, la Bugatti Bolide ?

Réponse simple : moins méchant que ça en a l’air. En même temps, si son ramage se rapportait à son plumage, je ne suis pas sûr que quelqu’un survivrait à un tour complet. Tout en muscle et en nerfs, tapie dans son box du Paul Ricard, on dirait un coup de poing américain avec des roues. Je ne saurais dire pourquoi mais elle me fait penser au Minotaure, une bête fabuleuse sans pitié qui erre dans le noir et massacre quiconque se trouve sur son chemin. Peut-être la calandre en fer à cheval qui m’évoque l’anneau de nez d’un taureau.

Du haut de ses 40 exemplaires à 4 millions d’euros hors taxe, la Bugatti Bolide est déjà une créature mythique et Bugatti admet que certains de ses propriétaires ne la conduiront sans doute même pas. Il m’arrive de comprendre l’argument de la « sculpture roulante », mais pas là. Si l’on se contente de la regarder immobile, on ne la comprendra jamais vraiment, on ne ressentira pas ce frisson qui vous saisit l’échine quand elle se met à rouler et se transforme en tout autre chose.

Vous êtes en train de dire qu’elle est douce comme un agneau ?

D’abord, il faut se rappeler d’où elle vient et pourquoi elle existe. Sa mission, c’est d’offrir un final digne de ce nom au légendaire W16 8 l quadriturbo de la marque avant que la Tourbillon arrive avec son V16 atmosphérique hybride. Seize cylindres. Ça me fait toujours quelque chose.

Ce moteur développait 1001 ch à ses débuts sur la Veyron en 2005. Il en affiche 1600 au moment de tirer sa révérence.

La Bugatti Bolide existe pour célébrer le W16. C’est une VGT devenue réalité. Il y en a d’autres qui pensaient qu’elle resterait un pur délire de designer lorsqu’elle a été présentée en octobre 2020 ? C’était mon cas. Il est vrai que la Bolide « de série » n’est plus tout à fait le monstre de 1850 ch pour 1240 kg annoncé à l’époque, capable de rouler à plus de 500 km/h et de tourner plus vite qu’une LMP1 au Mans. Mais elle s’en approche raisonnablement.

Comment Bugatti a-t-il fait pour faire maigrir à ce point une Chiron de deux tonnes ?

Simple : en ne partant pas d’une Chiron. Toute la monocoque carbone est spécifique à la Bolide (une Pagani Huayra R avait eu droit au même traitement). Construite par Dallara, elle répond aux exigences de la réglementation Hypercar des 24 heures du Mans. Ensuite, tous les attributs d’une voiture de route sont passés à la trappe. Pour autant, le W16 lui-même n’a quasiment pas évolué pour prendre place sur un châssis capable de générer 2,5 g latéraux et 2 900 kg d’appui aérodynamique.

On imaginerait donc découvrir une erreur de la nature, un monstre de Frankenstein automobile dont le moteur de locomotive pèse la moitié de son poids – cette partie-là est vraie – sous une délicate structure allégée au maximum pour les performances.

La parole est à Mate Rimac : « Le plus dur dans ce projet a été d’en faire une vraie Bugatti en termes de détail et de qualité. Les voitures de course sont des machines fascinantes, mais ce ne sont pas des Bugatti. Une voiture de course doit juste fonctionner et être aussi légère que possible, peu importe les formes et la finition, la qualité de la peinture, du carbone, etc. Mais je ne pense pas que quelqu’un ait déjà fait une voiture de course avec ce niveau de qualité. »

Et vous êtes d’accord avec lui ?

J’y reviendrai un peu plus loin car je ne suis pas persuadé que la Bolide soit unique de ce point de vue. Une chose est sûre, elle offre l’allure, le ressenti et les réponses d’une Bugatti. Mate reconnaît que la masse a augmenté car lorsqu’il a fallu arbitrer, ils ont toujours pris le parti de s’aligner sur les valeurs de Bugatti. « In fine, avec cette voiture, on ne parle pas que de temps au tour. Il faut qu’elle soit enthousiasmante à conduire pour nos clients. Et beaucoup d’entre eux ne sont pas des pilotes. »

Traduction, elle doit être facile à appréhender et pardonner les erreurs, sans quoi une bonne partie des Bolide risque d’aller se fracasser dans les pneus sur divers circuits à travers le monde. C’est bon pour le chiffre d’affaires du SAV, moins pour la relation client.

À quoi ressemble le cockpit ?

Il est plus étroit que je m’y attendais. La portière est minuscule et le baquet fixe est positionné assez en avant, obstruant partiellement l’entrée. Le coussinet d’épaule côté extérieur est en fait monté sur la porte, qu’il vaudra mieux demander à quelqu’un d’autre de fermer si l’on tient à sa dignité. Il faudra de toute façon se contorsionner un peu pour s’installer. À bord, c’est spectaculaire à défaut d’être particulièrement glamour. La jante du volant frôle le montant de pare-brise, la vue est bouchée sur les côtés par les ailes culminant plus haut que mes yeux et pour tout luxe, on trouve les tuyaux flexibles de la clim. Qui fonctionne du feu de Dieu, d’ailleurs. On pourrait avoir la même sur les voitures de route, s’il vous plaît ?

Le volant compact imprimé en 3D est superbe, l’instrumentation est composée de trois petits écrans denses en informations, le baquet et le volant sont réglables, la pédale de frein est robuste, l’accélérateur est délicieusement suspendu. Et c’est à peu près tout ce avec quoi on peut jouer là-dedans.

À part le W16…

C’est ce qui se passe juste après qui donne le ton. Le râle du W16 au réveil prend aux tripes. Il n’est pas spécialement tapageur ni assourdissant, il a simplement une présence énorme. Si vous êtes déjà resté debout à côté d’une Chiron au ralenti, vous comprendrez ce que je veux dire quand j’écris qu’elle utilise la route sous ses roues comme caisse de résonnance. On sent les ondes sonores au moins autant qu’on les entend.

Ici, sans filtres, la sonorité est plus rauque mais dégage toujours la même impression de force primale. C’est la signature du W16, à nulle autre pareille. Je m’engage dans la pitlane, limiteur activé, mais je ne peux me résoudre à obéir aux consignes que m’a données Andy Wallace tandis qu’il se sanglait dans le baquet de droite : « Une fois que tu arrives au limiteur, mets pied au plancher et reste comme ça. »

« En première ? » lui demandé-je interloqué.

« Ouaip, en première. Ensuite, au bout de la pitlane, coupe le limiteur… et accroche-toi. »

Je refuse tout net. « Pas question. Ça va patiner des quatre roues et on va terminer dans le rail. »

« Je t’assure. Tant que les pneus sont chauds, elle va accélérer sans le moindre patinage. »

Je ne peux pas. Pas pour ma première sortie. Plus tard, j’ose, et c’est absolument hilarant. Les turbos sont en action, mais la voiture ne semble pas vraiment buter sur le limiteur. Elle roule en souplesse à 60 km/h, j’appuie sur le bouton pour la débrider et elle nous catapulte alors sur la piste comme on écrase une mouche. J’éclate de rire. Andy soutient que c’est encore plus vivifiant qu’un launch control depuis l’arrêt complet. je veux bien le croire.

Est-ce l’engin le plus rapide que vous ayez jamais conduit ?

Le problème, c’est que j’ai pris le volant de la McMurtry Speirling, donc à part peut-être un dragster, je ne ferai sans doute jamais mieux de ce point de vue. Par ailleurs, à haute vitesse, je ne pense pas que la Bugatti Bolide soit spécialement plus rapide que la Koenigsegg Jesko que j’ai conduite l’année dernière. Mais ce n’est qu’à partir de 150 km/h que la Jesko commençait à passer toute sa puissance au sol via les seules roues arrière. Aucun problème de ce genre avec les quatre gros slicks qui se partagent la tâche sur la Bolide.

À quoi ressemble la sensation de vitesse ?

Question intéressante, car la Bolide ne semble pas si véloce en pratique. Il y a plusieurs raisons à ça : la motricité et la stabilité sont telles qu’on n’a jamais l’impression d’approcher les limites du châssis, la puissance est très linéaire, et la montée des rapports est automatique. Sans compter que les compteurs sont tout petits et difficiles à lire.

En d’autres termes, on se sent en sécurité, ce qui réduit mécaniquement les doses d’adrénaline. Ce que l’on ressent, c’est d’abord une force phénoménale qui vous enfonce dans le siège. Puis la prise de conscience de la vitesse à laquelle on s’est débarrassé des 600 m de la ligne droite des stands pour y dépasser largement les 300 km/h, en partant pour ainsi dire de zéro. Et pendant tout ce temps, il y a ce tonnerre addictif dans votre dos, un borborygme aussi majestueux que savoureux. Le W16 n’a peut-être pas la réponse la plus aiguisée ni la sonorité la plus suave, il ne déborde pas de sauvagerie. Mais il est si souple, surpuissant sans le moindre effort… tout simplement le roi des moteurs.

Comment ralentit-on quelque chose d’aussi vigoureux ?

Apparemment, conduite plein pot, la Bolide aurait plus d’énergie à dissiper que n’importe quelle voiture de course. C’est lié à sa puissance et à son poids : elle est plus lourde (1 450 kg à sec, donc environ 1 625 kg tous pleins faits avec le conducteur) et pourtant, elle arrive à plus haute vitesse dans les zones de freinage. Brembo a résolu ce paradoxe avec des disques en carbone de 390 mm de technologie F1, et un ABS. Une combinaison rare, voire unique. On peut taper dedans sans se poser de question, et pourtant la puisance de freinage me crucifie dans mon harnais à chaque fois. Vous avez déjà fait du saut en parachute ? Vous vous rappelez cette sensation de souffle coupé quand la voile se déploie ? C’est à peu près ça. Avant chaque virage. Le ressenti à la pédale est sublime. Je vois des températures de fonctionnement dépassant les 800° et, de l’extérieur, le public a droit à des disques incandescents.

Qu’en aurait dit Ettore Bugatti ?

Je me pose justement la question en admirant la Type 35 que Bugatti a garée à la réception du Paul Ricard. Une auto poids plume, née dans l’esprit d’un homme réputé s’être moqué des énormes Bentley contemporaines en les traitant de camions (« les plus rapides du monde », mais tout de même).

Je ne suis pas certain qu’il serait complètement d’accord avec l’idée d’une pistarde qui ne roule pas en compétition, ni qu’il verrait d’un bon œil le fait qu’elle ait tant d’énergie à dissiper à chaque tour. Mais les temps changent, les réglementations aussi. Et ce serait absolument génial de voir un jour la Bolide aller défier l’Aston Martin Valkyrie au Mans

Vous avez pu vraiment la conduire ?

J’ai eu droit à six tours au volant de la Bolide, pas un de plus. Évidemment pas assez pour se faire une idée complète de ses capacités, d’autant qu’il s’est mis à pleuvoir juste avant que je prenne le volant. Une autre raison pour ne pas mettre godasse en première… Ce premier tour, avec les pneus encore froids, a donné lieu à quelques glissades, et cela a peut-être le moment le plus révélateur a posteriori.

Les systèmes de contrôle de traction et de stabilité ont merveilleusement fait leur office, autorisant juste assez de glisse pour avoir un peu de mouvement mais jamais de stress. Les freins étaient opérationnels à peu près dès le début, l’équilibre était parfait et à la fin du premier tour, j’avais déjà acquis le plus important : la confiance.

La Bolide a beau être une pistarde de 1600 ch, elle est facile, docile, accommodante. Elle n’a rien de piégeux. La direction est directe mais moins pointue que celle d’une Ferrari, elle n’est guère bavarde mais elle est incisive et le ressenti de votre postérieur au fond du baquet fait mieux que compenser. Je ne m’attendais pas à ce que le châssis communique si bien. Malgré le poids raisonnable, on n’a pas vraiment une sensation de légèreté, il y a de la consistance et du contrôle dans la façon dont elle vire. Elle aime être inscrite sans forcer.

Mais c’est après la corde que ça devient le plus intéressant. Pas juste parce que c’est là qu’on peut gaver le W16 d’air et de sans plomb à 102 d’octane. C’est plutôt la façon dont les quatre roues digèrent le couple qui en résulte. Les différentiels font un travail incroyable pour le répartir en optimisant la motricité sans nuire à la trajectoire. Il est absolument jouissif – et flatteur – de sentir la Bolide s’extraire d’un virage lent en légère glisse des quatre roues.

La boîte à double embrayage profite d’un nouvel étagement plus adapté à la vitesse de pointe de 380 km/h. À cette vitesse, l’appui atteint 2900 kg. En sixième à, disons, 280 km/h, je note que l’accélération faiblit sous l’effet de la traînée. Il y a un virage sur le circuit pour l’exploiter – un droite rapide après la dernière ligne droite, pris en 5e, mais j’ai trop peu roulé pour passer aussi fort que je l’aurais voulu.

S’il y a un problème, c’est sans doute avec la toute petite fenêtre de fonctionnement des pneus. À cause du fort appui aéro à haute vitesse, Michelin prône des pressions relativement élevées (entre 2,4 et 2,6 bar), sans quoi Wallace confirme que le grip diminue substantiellement.

La Bolide a-t-elle des rivales ?

Peut-on parler de concurrence dans ces hautes sphères, où les propriétaires n’ont pas à arbitrer entre ceci et cela ? La question se pose. Je dirais que la Pagani Huayra R est la voiture que j’ai conduite qui se rapproche le plus de la Bolide. Elle aussi respire la qualité et le sur mesure. Elle aussi a été conçue pour célébrer son moteur , dans son cas un V12 6 l atmosphérique capable de hurler à 140 db, le yang complémentaire au yin de la Bugatti.

D’autres autos sur ce créneau lorgnent davantage du côté de la course. Les Ferrari FXX K et Aston Martin Valkyrie AMR Pro, par exemple, plus dépouillées et plus radicales que la Bolide. Celle que j’attends le plus ? La GMA T50S.

La proposition de Bugatti est intéressante. La Bolide est un écrin roulant pour son moteur de route. Un monument qui rappelle son pedigree en se montrant parfaitement à l’aise sur circuit.

Autre chose que vous voudriez confier ?

Je m’attendais à ce que la Bolide souffre de ses compromis, mais elle semble finalement avoir été développée avec la même rigueur que la Chiron, par des gens qui avaient une idée très claire de la clientèle à laquelle elle s’adresse, et des compétences dont elle devait dès lors faire preuve. Elle est civilisée, docile, ce qui laisse à son conducteur la liberté de savourer le plat de résistance : les 16 pistons et autant de bielles, les quatre turbos et les 64 soupapes qui donnent vie au seul et unique W16 de ce monde.

En savoir plus à ce sujet :

Bugatti Bolide

Année
2025
Prix mini
4 millions H.T. €
Type de moteur
Thermique
Longueur
4835 mm
Largeur
210 mm
Hauteur
1047 mm
Poids
1450 kg
Boîte de vitesses
double embrayage
Nombre de rapports
7
Transmission
intérgale
Puissance
1600 ch
Couple
1600 Nm
0 à 100 km/h
2,2 s.
Vitesse max
380 km/h

W16

Type
Thermique
Nombre de cylindres
16
Cylindrée
7993 cm³
Alimentation
4 turbos
Type carburant
essence
Puissance
1600 ch
Couple
1600 Nm