Honda e Prototype

Et si la voiture la plus charmante de l'année était une Honda électrique ?

Craig JAMIESON • Niels de GEYER
Publié le : 2 juillet 2019

8 10
Un prix (sans doute) élevé, une autonomie faible aux standards actuels, des performances banales. Oui, mais la délicieuse Honda e ne sera pas un achat rationnel. Et c'est paradoxalement peut-être un signe que la voiture électrique commence enfin à mûrir.

Ne me dites pas que vous avez déjà conduit cette adorable petite chose ?

Eh si. Pas beaucoup, et pas bien longtemps, mais nous sommes parmi les premiers en dehors de chez Honda à poser nos fesses sur les sièges en polyester recyclé, à contempler le trio d’écrans en fonctionnement et à conduire ce qui est certainement la voiture électrique la plus hype parmi celles qui ne portent pas un blason Tesla. À juste titre.

Voilà qui est dit. C’est bon, je peux retourner stalker des gens sur Instagram ?

Ah mais c’est votre vie, vous faites ce que vous voulez. Mais en parlant de transitions douteuses, est-ce que la silhouette charmante de la Honda e ne vaudrait pas quelques posts Instagram ?

Pour arriver à cette allure délibérément kawaii, Honda a puisé dans son patrimoine – essentiellement la Civic originelle –et concocté quelque chose qui ne ressemble ni à un pastiche néo-rétro ni aux autres voitures électriques. Ni d’ailleurs à celles qui roulent au jus de dinosaure, en y réfléchissant bien.

« Nous avons opté pour un design extérieur aussi simple et épuré que possible, explique Kohei Hitomi, chef de projet de la Honda e Prototype. Les voitures électriques seront au cœur de notre vie dans le futur. Pas seulement parce qu’elles sont propres et silencieuses, mais aussi parce qu’elles proposeront un certain nombre de services inconnus des voitures conventionnelles. »

« Il fallait donc que son style soit amical, empathique. D’où une référence subtile à la Civic de première génération, qui était une voiture mignonne à souhait. Nous avons par ailleurs dissimulé les poignées de porte ou encore les essuie-glace pour ne pas parasiter les lignes. »

Résultat, cette voiture est bien plus qu’un ensemble de pièces fonctionnelles. C’est une œuvre de design, un objet émotionnel, pas seulement mécanique. Et ce sera d’autant plus important dans un avenir proche, au milieu de légions de voitures électriques toujours plus interchangeables.

Mais quelle est l’idée, au-delà du design ?

La Honda e Prototype ne se résume pas à sa bouille de bébé panda, son intérieur splendide, son packaging astucieux et son penchant pour les matériaux durables. On pourrait faire un parallèle avec l’iPhone en 2007. Honda a analysé les grandes tendances de la voiture électrique et notamment celles qu’il considère comme des impasses.

« Si on regarde le marché en ce moment, dit Hitomi, on assiste à une course à l’autonomie chez les constructeurs, qui se ressent sur la taille et poids des batteries. Du point de vue de Honda, c’est contre-productif car cela rend les voitures plus encombrantes et moins adaptées à un usage urbain. Nous pensons qu’un rayon d’action d’un peu plus de 200 km, avec la possibilité d’en récupérer 80 % en 30 minutes de charge, est un parfait compromis au quotidien. Il est dommage de devoir traîner une énorme batterie pour seulement quelques longs trajets dans l’année. »

Je crois que j’ai saisi. C’est une voiture purement urbaine, faite pour un environnement urbain, des distances urbaines et un usage urbain.

Exactement (mais c’est un article questions-réponses et normalement c’est nous qui faisons les réponses, merci).

C’est noté. Et donc, qu’est-ce qui fait de cette voiture la citadine idéale ?

Selon Hitomi, la ville n’est pas seulement le terrain sur lequel la voiture a été testée. C’est l’idée qui a sous-tendu le design, et jusqu’au projet lui-même.

« Nous nous sommes demandé où un véhicule électrique avait le plus sa place, explique Hitomi. Nous sommes rapidement arrivés à la conclusion évidente que c’était la ville. C’est là que la conduite zéro émission se justifie le plus. »

« C’est le point de départ du développement de la Honda e, et la raison de la compacité de la voiture et de son dessin. »

Les ingénieurs et les designers Honda ont voyagé à Londres, Paris, Francfort et Milan pour s’imprégner du fonctionnement des métropoles et de leurs spécificités. Apprendre par exemple comment ne pas céder à la tentation du suicide dans un embouteillage londonien, quelles prières réciter pour traverser la place de l’Etoile en un seul morceau, pourquoi Francfort est une ville magnifique mais uniquement quand on la regarde dans son rétroviseur, et à quel point une voiture doit être jolie pour détourner ne serait-ce qu’un regard dans les rues de Milan.

Les résultats sont impressionnants. La Honda e Prototype est plus courte qu’une Jazz mais parvient néanmoins à embarquer un adulte d’1,95 m à l’avant sans régler le siège en butée. Certes, il vaudra mieux être jeune et mince pour prendre place à l’arrière, et le coffre n’est pas exactement fait pour déménager. Mais encore une fois, cet engin est plus court qu’une Jazz.

Par ailleurs, c’est une propulsion. Comme les actuelles Smart et Twingo, elle donne le sourire à chaque demi-tour puisqu’il lui suffit d’un cercle de 4,3 m de rayon (tout juste 40 cm de plus que sa longueur). En braquant à fond, on a tout simplement l’impression de pivoter sur place (et on rit bêtement).

Mais il ne suffit pas d’un gabarit miniature et d’un rayon de braquage de Fenwick pour faire une bonne citadine. Ça, tout le monde y arrive. La Honda fait notamment la différence avec son intérieur (à découvrir en vidéo ICI). Là aussi, l’usage de matériaux recyclés n’a rien de nouveau ; c’est même très à la mode. C’est la façon dont Honda les exploite qui fait de l’habitacle de l’e Prototype un cocon aussi exclusif. Les sièges sont particulièrement chics, que ce soit leur texture, leur finition ou leur moelleux. Franchement, laissons le cuir aux voitures allemandes. Quand un tissu est aussi agréable, ça n’a plus rien d’un second choix.

Et le reste de l’habitacle est-il aussi séduisant ?

Presque. Gardons à l’esprit qu’il s’agit d’un prototype et qu’il y a encore des choses qui peuvent changer d’ici la version finale. Néanmoins, le dessin, la disposition et la construction du sélecteur de « boîte » et des écrans représente un pas de géant par rapport à n’importe quelle Honda que j’ai eu l’occasion d’essayer jusqu’alors. La marque est passée maître dans l’art de faire fade mais solide et fonctionnel. Là, hormis le logo sur le volant (et les quelques commodos dont il est surchargé), rien ne rappelle les ternes intérieurs dont Honda nous gratifie souvent. C’est vraiment très joli.

Même la ronce de bois, ignoble à bord d’un CR-V, est ici tout à fait élégante. Volvo n’aurait pas fait mieux, c’est dire. Le triptyque d’écrans est également d’excellente qualité. Notez que l’on peut intervertir l’affichage des dalles centrale et passager, par exemple pour que ce dernier puisse tranquillement configurer la navigation ou concocter une playlist avant de tout rebasculer sur l’écran central.

C’est bien gentil l’autoradio et le GPS, mais on n’a toujours pas parlé des performances…

Alors déjà il va falloir mettre de côté le présupposé électrique = dragster, façon Tesla. La Honda e est plus dans les eaux d’une Leaf ou d’une Zoe, c’est-à-dire que ses performances sont suffisantes pour laisser sur place n’importe quelle citadine au feu vert mais qu’il ne faudra pas lui demander beaucoup plus.

Au pifomètre, nous tablerions sur quelque 8 s sur le 0 à 100 km/h, pour vous donner une idée. Le fait que ce soit une propulsion profite à la motricité quand on écrase l’accélérateur à l’arrêt. Aucun risque de patiner, contrairement à une traction de cette puissance.

Si comme nous, vous êtres conditionnés aux voitures électriques à la mode, avec leurs grosses batteries et leurs accélérations cervicalement dévastatrices, la Honda e risque de vous laisser sur votre faim. Mais ces petites batteries ont le mérite de ne pas rappeler leur poids à chaque freinage. La e Prototype ralentit sans faire d’histoires, et ne se trémousse pas à la limite du blocage de roues sous l’effet de cinq- ou six-cents kilos de batteries dans le plancher comme certaines.

Idem en virage : pas d’inertie, de mouvements de caisse démesurés ou de suspension exagérément raffermie pour les contenir. La Honda e est parfaitement neutre et ne vous réserve aucune excentricité. Alors non, le toucher de route ne va pas empêcher les ingénieurs Lotus de dormir, mais au moins on n’est pas obligé de doser la direction exclusivement à vue.

Le seul bémol, c’est la démultiplication de cette dernière, un poil lente sur le petit slalom qu’Honda nous avait préparé. Donc pour info, si vous devez slalomer entre des plots sur le chemin du boulot, il faudra un peu plus jouer du cerceau que vous le feriez à bord d’une 488 Pista (info TopGear).

La e Prototype est peut-être la voiture la plus enfantine à conduire du monde. Elle reste parfaitement neutre quoi qu’on fasse. Vivement que l’on puisse essayer un modèle de série en dehors d’un tarmac, et voir comment tout ça se traduit dans la vraie vie.

Oui, j’ai remarqué que vous précisiez « Prototype » à chaque fois. Est-ce que ça veut dire que la voiture définitive risque d’être très différente ?

Absolument pas. Quand je me suis assis à bord et que j’ai demandé à un ingénieur ce qui pourrait changer sur la voiture de série, il a souri poliment et a pointé du doigt la casquette de planche de bord, en précisant « peut-être ». Autant dire que même s’il s’agit encore officiellement d’un prototype en fin de développement, vous avez sous les yeux la voiture qui sera en concession début 2020.

Tout ceci est de fort bon augure. Puis-je vous ramener sur terre en vous demandant combien coûtera ce petit échantillon de joie pure ?

Ah, oui. Nous avons eu beau harceler Honda, pas moyen de leur soutirer un chiffre. Le tarif pourrait cependant dépasser les 35 000 euros avant bonus, ce qui, apporté à l’autonomie, risque d’en faire tiquer plus d’un face à une Renault Zoe, une Peugeot e-208 ou même une Mini Electric… Mais au moins, elle existe, et une voiture électrique désirable ET encore abordable, ça ne court toujours pas les rues.

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