Une BMW E30 V10 ? C’est le rêve du patron de Bugatti Mate Rimac

Mate Rimac a de la suite dans les idées. Il nous parle de BMW V10 restomods, et bien sûr des prochaines Bugatti.

Ollie MARRIAGE
Publié le : 2 juin 2025

Il fait frisquet ce matin sur le Paul Ricard. Emmitouflé dans son blouson d’aviateur, Mate Rimac est perché sur le mur des stands et cadre la Bolide avec son téléphone tandis qu’elle passe à pleine vitesse sur la piste. Il sourit en se tournant vers moi. « Plutôt cool, non ? »

Rimac aurait pu tuer la Bolide dans l’œuf quand il a pris les rênes de Bugatti voici trois ans et demi. Mais non, ce n’est pas son genre. C’est un passionné. Il est sur la pitwall avec son téléphone, en train de filmer pour la postérité car sa femme est sur le siège passager.

Rimac, en passant, n’a toujours pas conduit la Bolide. Étonnant quand on connaît sa réputation, son amour du pilotage et du drift, ou le fait qu’il rêve de faire un jour « un vrai beau restomod d’E30, avec un V10. Pas juste la mécanique, mais aussi le design. Je ne sais pas quans je pourrai m’y mettre. Peut-être quand je serai à la retraite ». Comment se fait-ce ?

« Je suis toujours extrêmement pointilleux quand il s’agit de tester et de conduire des voitures, à propos de chaque détail et, quand je conduis nos voitures, j’en sors avec une longue liste de choses que je souhaite voir améliorées ou modifiées. Mais avec cette voiture, c’est tout simplement bien au-delà de mon niveau de compétence. C’est une voiture de course, une pistarde, et je suis un automobiliste sur route. Je suis incapable de prendre la mesure de tout ce que cette voiture peut faire. »

Ça se tient. Et ce n’est pas comme s’il était désœuvré par ailleurs. Il est désormais à la tête de trois entités, Bugatti n’étant que la moitié de l’une d’entre elles (la division automobile Bugatti-Rimac). Ensuite, il y a Rimac Technology, qui fournit des solutions à d’autres constructeurs. Et l’an passé, il a lancé Verne, une entreprise de robotaxis. « Nous avons montré le nôtre en juin 2024, quelques mois avant que Tesla ne dévoile le sien. Et juste trois semaines avant le lancement de la Tourbillon.

« Ce mois de juin 2024 a manqué de me tuer », admet-il. Il y a deux semaines, il était à Nardò au volant de la Tourbillon, remplaçante de la Chiron. Il ressort son téléphone et me montre une vidéo. « Regardez comme elle grimpe dans les tours, écoutez ce son. J’ai été époustouflé par la qualité de cette voiture. J’en suis tellement, tellement fier. Vous avez entre les mains ce volant à moyeu fixe, cette instrumentation analogique, la puissance conjuguée de 800 ch électriques et 1000 ch thermiques. Il n’y a rien de semblable. »

« Et il n’y a même pas besoin du V16 pour accélérer fort. C’est l’avantage. Dans la Tourbillon, si vous avez la flemme de rétrograder, il y a tellement de puissance électrique qu’il n’y en a pas besoin. Sinon, pourquoi s’embarrasser de tout ce poids et toute cette complexité ? »

Il en profite pour tacler les autres supercars hybrides. « Je les ai toutes conduites et je ne les comprends pas vraiment. Pourquoi hybrider un moteur turbo ? Un moteur turbo est déjà en soi un compromis, non ? En passant du turbo à l’atmo, nous avons renoncé à 600 ch. Je savais que nous pouvions faire mieux que compenser avec le moteur électrique. Donc le moteur électrique a permis de préserver un moteur thermique noble. Et dans la Tourbillon, vous avez 70 km d’autonomie électrique tandis que les autres sont très limitées en mode électrique. »

Le développement se passe bien. Au total, Bugatti construira 35 prototypes avant les premières voitures de série. « Nous en avons plus ou moins terminé avec le développement et nous procédons maintenant à l’homologation et aux tests. Le but est d’arriver à une voiture plus légère que la Chiron. Ce sera la première hybride plus légère que son homologue thermique. Nous avons une grosse batterie (25 kWh), trois moteurs électriques, et pourtant nous sommes plus légers. Juste un exemple, la suspension est 45 % plus légère que celle de la Chiron grâce à l’impression 3D. » Au passage, notez que la Chiron reprend des pièces de la Chiron. Ou plutôt une pièce : l’interrupteur du plafonnier…

Les premières livraisons de la Tourbillon sont prévues pour 2026. C’est pourtant en 2025 que l’usine de Molsheim – pardon, l’Atelier – aura connu l’année la plus chargée de son histoire avec la production des dernières Bolide (14 ont déjà été livrées) et des 99 Mistral. Ensuite, il y aura 250 Tourbillon coupés. Et ensuite, peut-être un roadster ? « Vous pouvez toujours faire des hypothèses, sourit Mate, mais il y a tant de choses imaginables avec cette motorisation hybride… On pourrait en faire une version 100 % thermique, ou une à l’électrification réduite, ou une version sans transmission intégrale ».

Une Tourbillon sans hybridation serait donc envisageable ? « Hum, c’est assez compliqué puisque c’est le moteur électrique qui fait office de démarreur. Donc il n’y a pas de courroie, d’alternateur ou de compresseur de climatisation, mais on pourrait concevoir un système considérablement réduit. » Rimac n’en dira pas plus sur l’avenir du plan produit mais il se dit qu’il souhaiterait que Bugatti ait une deuxième famille de modèles au catalogue. Rien de bien neuf. Quand nous avions posé la question au précédent patron Stephan Winkelmann en 2019, celui-ci en parlait déjà.

Mais avec Rimac aux commandes, comment ne pas imaginer une Bugatti 4 portes avec un V16 à l’avant ? Une voiture qui rappellerait les grandes heures de la légendaire Royale, dont on fêtera justement le centenaire en 2027. Et qui était animée par un 8 cylindres en ligne, soit très exactement un demi-V16… Pour l’instant, no comment.

Avec le ralenti du V16 et le gémissement des pistolets démonte-peu, on ne s’entend plus. Nous marchons donc vers l’accueil, où Bugatti a exposé une Type 35. Contempler une voiture comme celle-ci lui fait-il ressentir le poids d’un héritage ? « C’est vraiment important. Cela me fait réfléchir à certaines petites choses, comme cette citation d’Ettore selon laquelle « si on peut la comparer, ce n’est plus une Bugatti », ou quand Piëch a décrit la Veyron comme une voiture « avec laquelle on peut dépasser les 400 km/h et, le même jour, emmener sa femme à l’opéra. »

« J’ai sans doute un petit grain de folie, si vous regardez d’où je viens et où je suis maintenant »

 

« Ce ne sont que quelques mots, mais ils ont tant de profondeur et de sens… Nous le repétons souvent aux ingénieurs, en leur disant que cette voiture roulera toujours dans un siècle. Comment s’assurer que tel joint durera 50 ou 60 ans, ou que tel système électronique pourra toujours être entretenu dans 50 ou 60 ans ? »

« Je ne m’étendrai pas là-dessus car nous n’avons encore rien décidé, mais je pense que les garanties pour ce genre de voiture doivent être très différentes. Je vais vous donner un exemple. Actuellement, la Chiron est garantie 4 ans tout compris, et c’est déjà bien. Pourquoi nos clients utilisent-ils moins la Veyron ? Ils la conduiraient davantage si les pneus et les roues n’étaient pas si chers, donc nous essayons de concevoir de nouveaux jeux de jantes et de pneus. »

« Regardez les LaFerrari, P1 et 918 : elles étaient livrées avec une batterie médiocre, qui coûte des centaines de milliers d’euros à remplacer. Nous voulons êtres certains que ce ne soit jamais le cas avec la Tourbillon. Une Bugatti doit être très fiable et sans souci, car cela participe aussi à la valeur résiduelle. »

J’interroge Rimac sur l’avenir du secteur. Où pense-t-il que nous en sommes avec les batteries solides, par exemple ? « J’ai l’impression d’être un fossile dans cet industrie alors que je n’ai que 37 ans. Mais je fabrique des batteries depuis 16 ans, j’ai lu beaucoup de choses sur les batteries solides et d’éventuelles ruptures technologiques depuis 16 ans. On a toujours l’impression que c’est à portée de main, mais ce n’est pas le cas. Ce qui s’est passé, en revanche, c’est que le prix [des batteries conventionnelles] a chuté de 90 %. De 1 500 € le kWh à une époque, on est passé à quelque chose comme 100 €. »

Et Elon Musk, héros ou génie du mal ? « Pour moi, avant toutes ces histoires depuis les élections, c’était la personne la plus intéressante du monde. Je veux dire, envoyer des fusées réutilisables dans l’espace, préparer la conquête de Mars… Je sais comment fonctionne l’industrie [automobile] et combien Tesla a pesé dans la métamorphose de ces entreprises automobiles. Et je sais que la seule différence entre Tesla et tous les autres constructeurs, c’est Elon, rien d’autre. Il a vraiment changé le monde, il a eu un énorme impact. »

La Chine, menace ou aubaine ? « Les européens expédient et produisent des voitures là-bas depuis des décennies pour faire d’énormes profits, donc il semble un peu hypocrite de reprocher aujourd’hui à la Chine de vouloir faire la même chose ici. S’ils arrivent à proposer un meilleur produit à un tarif plus compétitif, pourquoi ne le feraient-ils pas ? Ils paraissent avoir de bons produits et leur courbe de croissance est folle. Regardez ce qu’ils sont arrivés à faire en 10 ou 15 ans. »

Quel est le plan pour Verne ? « Il y aura deux champs de bataille pour la conduite autonome qui sont les Etats-Unis et la Chine, et Verne se concentre sur l’Europe. Nous ne vendons pas la voiture, c’est comme un service. Nous venons dans une ville, avec des centaines ou des milliers de voitures et nous offrons un service aux… gens qui n’ont rien à faire des voitures. Ceux qui veulent juste aller d’un point A à un point B et ne veulent pas s’embêter à acheter un engin de 2 t qu’il faut emmener chez le garagiste plus souvent que vous allez chez le médecin, passer des mois à apprendre à conduire, nettoyer, entretenir, etc. Ce n’est tout simplement pas la solution la plus efficiente. »

Qu’est-ce qui empêche l’émergence des voitures autonomes ? Est-ce un problème de législation ? « Non. Enfin, si, mais ce n’est pas ce qui bloque. C’est d’abord une question de technologie. Il est difficile de résoudre le dernier 1 % des problèmes. Nous roulons en ville pour des tests depuis deux ans et la plupart du temps, tout se passe bien, mais ensuite vous rencontrez une situation inattendue où la voiture ne sait pas quoi faire. Et vous devez alors intervenir. Il faut donc résoudre ce 1 % de situations. Mais je pense qu’avec les progrès de l’IA, on va y arriver. Et cela aura un impact décisif. »

Mate secoue la tête et soupire. « Je n’ai pas d’ambitions mégalomaniaques. Vraiment. C’est juste que j’aime ce que je fais. Ai-je besoin d’envoyer des fusées dans l’espace ? Non. Tout cela me suffit déjà. J’ai sans doute un petit grain de folie : si l’on regarde d’où je viens et où je suis maintenant, il y a un gouffre. Cependant, vous savez, nous sommes toujours cette petite entreprise et nous essayons de défier des gens comme ceux de chez Google et Tesla en matière de conduite autonome, notamment. Je suppose qu’il faut quand même être un peu fou. »

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