Ferrari SF90 XX

La première Ferrari XX routière ne serait-elle pas un peu tendre pour prétendre à ce badge ? Premiers éléments de réponse à Fiorano.

Ollie MARRIAGE
Publié le : 16 novembre 2023

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« Je suis à peu près sûr que c’est le département marketing qui a décrété qu’il fallait transformer la SF90 en une XX routière, et qui a laissé les ingénieurs se dépatouiller avec cet oxymore »

Les plus Performances monstrueuses, facilité diabolique
Les moins Trop de compromis : label XX usurpé, tarif injustifiable

Une SF90 XX ? Ca va battre tous les records du tour, ça, non ?

Du calme. Oui, la nouvelle SF90 XX est incroyablement rapide. Encore heureux avec 1 030 ch, soit 30 de plus que la SF90 standard. Elle profite aussi de deux fois plus d’appui, et passe de 0 à 100 km/h en 2,3 s. Mais c’est quelque chose de bien particulier qui distingue cette Ferrari XX de toutes les autres.

Laquelle ?

Elle est homologuée pour la route. C’est donc la première XX que vous pourrez conduire où bon vous semble. Il y a plusieurs corollaires à cette particularité. Déjà, Ferrari va en vendre beaucoup plus. Ensuite, ils ont dû faire des compromis. Une voiture de route embarque nécessairement beaucoup plus de lourds équipements dont une pistarde se passe volontiers. D’où un poids de 1 560 kg à sec. Pour vous donner une idée, la FXX K, basée sur la LaFerrari, faisait 1 155 kg.

Mais alors pourquoi l’homologuer pour la route ?

Se référer au premier point : en vendre plus. Je suis à peu près sûr que c’était le point de départ. J’ignore si la SF90 a rempli ses objectifs commerciaux aux yeux de Ferrari, mais c’est dans tous les cas une voiture assez curieuse. Un V8 biturbo pouvait se justifier en 2020. Depuis, Lamborghini a montré qu’il y avait toujours un place pour le V12 avec la Revuelto tandis qu’en interne, la 296 GTB a planté un couteau dans le dos de sa grande sœur en se montrant plus légère et plus intéressante à conduire, avec un style plus cohérent et un moteur bien plus charismatique. Le tout pour bien moins cher. À côté, la SF90 semble plus que jamais chercher sa place. Si encore elle avait un coffre…

La décliner en une version XX à la production limitée est donc un moyen de booster sa désirabilité, et la marge par la même occasion. Au total, Ferrari produira 1 398 voitures dont 799 Stradale (affichées 770 000 €) et 599 Spider (850 000 €). Pour rappel, une SF90 « standard » s’affiche à 450 000 €. Et une 296 GTB à moins de 300 000 €.

« Spider » ? Une pistarde cabriolet ? Tout ça paraît décidément bien cynique…

C’est un toit rigide escamotable, comme sur la SF90 Spider, mais objection retenue. Je suis à peu près sûr que c’est le département marketing qui a décrété qu’il fallait transformer la SF90 en une XX routière, et qui a laissé les ingénieurs se dépatouiller avec cet oxymore.

Qu’est-ce qui change par rapport à une SF90 standard ?

La routine : plus de puissance, moins de poids, plus d’aéro. Tout ce qu’on est habitué à voir sur des versions orientées piste, mais pas plus.

Le V8 biturbo adopte de nouveaux pistons pour développer 17 ch supplémentaires, soit 797 ch. Les trois moteurs électriques, un sur chaque roue avant et un entre le V8 et la boîte,  grimpent à 233 ch cumulés (+ 13 ch). La petite batterie rechargeable de 7,9 kWh permet toujours d’envisager 25 km en mode électrique. Rien de révolutionnaire.

Côté poids, la XX est seulement 10 kg plus légère qu’une SF90 dotée du pack Assetto Fiorano. N’allez donc surtout pas croire qu’il s’agit d’une version piste ultra dépouillée. Rien à voir. Ferrari n’a même pas essayé. Il y a encore un autoradio, la clim, les feux matriciels, le système de levage de nez avec la suspension pilotée, et bien d’autres choses en fonction de ce que vous avez coché sur une liste d’options pas spécialement moins interminable.

Même le gros aileron arrière n’a plus grand-chose de spectaculaire depuis que la Porsche 992 GT3 RS est passée par là. Ferrari annonce 530 kg d’appui à 300 km/h (215 kg à l’avant, 315 kg à l’arrière). Pas négligeable, mais un peu faiblard à côté des quelque 800 kg d’une McLaren Senna à cette vitesse. Quant à la GT3 RS, elle n’atteint pas les 300 km/h mais génère déjà 860 kg à 285 km/h. Bref, pas de quoi se relever la nuit.

Ferrari n’en a pas moins largement optimisé les formes de la SF90, au profit de l’appui comme du refroidissement. Et puis, ainsi bardée de prises d’air et d’ailerons, la SF90 me semble avoir bien plus de présence et de cohérence.

Et dynamiquement, mérite-t-elle son double X ?

C’est le chef-essayeur Raffaele de Simone qui me fait le tour du propriétaire : « Pour améliorer les temps au tour, tout le monde fait développer des pneus sur mesure. Ça n’a pas été notre cas cette fois-ci. Ici, les pneus ont été un repère fixe autour duquel nous avons travaillé pour améliorer la voiture partout ailleurs. » Oui, les Michelin Cup 2 R offrent un grip superlatif, mais ils gardent un profil routier. Ils sont le facteur limitant.

Néanmoins, ce que l’on remarque en premier, c’est la souplesse de la suspension. Il y a du roulis, du tangage, ça plonge au freinage. Je ne m’attendais pas à ça. Je roule derrière Rafa, nous zigzaguons pour faire chauffer les pneus, et il y a bien plus de mouvements de caisse que ce que j’aurais imaginé. Ce n’est pas forcément désagréable, c’est sain et instinctif, mais c’est bien là. C’est qu’il faut permettre aux pneus de travailler convenablement même loin du billard d’un circuit.

À propos, vous avez pu la conduire sur la route ?

Hélas, non. Ce qui est quand même ballot pour l’essai la première Ferrari XX à être faite pour ça, nous sommes d’accord. D’autant que je la pressens bien plus confortable et plus facile dans la vraie vie qu’une GT3 RS, une Senna ou une 765LT. Il y a plus de débattement, elle est plus conciliante.

La contrepartie de cette docilité sur route pourrait être une auto qui se débat et qui peine à trouver de la motricité sur circuit à force de devoir contrôler ses transferts de masse. La SF90 XX arrive toutefois à un assez bon compromis. Elle me ferait presque penser à une grosse Alpine A110, alerte mais souple.

Elle n’est pas non plus particulièrement agressive à l’inscription. Incisive, sans plus. L’avant mord proprement, sans casser l’inertie. Je soupçonne qu’avec une suspension plus ferme, les pneus de route auraient eu plus de mal. Là, elle appelle déjà des renforts à la remise des gaz.

Vous voulez dire des renforts électriques, en guise de contrôle de traction ?

Tout à fait. Parce que les 1030 ch, il faut quand même les dompter, une fois lâchés. Il n’y a quasiment aucun lag – Ferrari a toujours excellé dans l’art de camoufler la suralimentation –, la XX tente de tout faire passer en même temps. Avec un filet électronique au cas où.

À un moment, on sent la voiture hésiter, mais une fois qu’elle retrouve l’adhérence, on est catapulté. La troisième et la quatrième sont de la folie furieuse. Je short-shifte en 5e mais j’ai toujours les yeux écarquillés par le couple. Le train avant est très bien géré et ne cède que rarement au sous-virage.

Ferrari dit avoir accentué les passages de rapport et amplifié le bruit du V8 (via un tube qui court derrière l’habitacle). Sous mon casque, j’avoue ne pas trop entendre la différence. Les nouveaux baquets – avec un trou dans l’assise entre les jambes, c’est comme être assis sur un fer à cheval – sont superbes.

Rafa souligne que c’est en mode Race avec les aides activées qu’il va le plus vite. Je ne doute pas qu’il en serait de même pour moi, mais il faudra quand même veiller à être doux et précis pour ne pas énerver la voiture et en extraire les meilleurs chronos.

Et ça vous embête, c’est ça ?

Non. Les Ferrari actuelles sont remarquablement amusantes et faciles à la limite, c’en est presque indécent pour des voitures flirtant avec les 1 000 ch. Sans l’électronique, on peut se faire quelques chaleurs (comme moi dans la courbe la plus rapide, par exemple), mais on ressent mieux la voiture.

La direction est légère et très directe, les freins puissants. La SF90 XX danse à la demande, par la grâce de son cerveau électronique 6W-CDS qui démultiplie à l’infini vos talents de pilote. Quand j’ai pris le volant de cette voiture, je sortais de la GMA T.50. Un monde les sépare. La T.50 est analogique, la SF90 XX utilise son logiciel interne pour flatter son pilote en interprétant ses intentions avec une acuité époustouflante.

Finalement, ce serait une vraie pistarde ?

Pas vraiment, non. Elle n’est pas assez radicale pour justifier le badge XX. Elle a beau trôner tout en haut de la gamme, je ne peux m’empêcher de penser qu’en choisissant d’en faire une voiture de route, avec ce que cela comporte de souplesse et de concessions, Ferrari a dévalué le label XX.

Et c’est avant de parler chiffres de production. À ce jour, en 18 ans d’existence, le programme XX n’avait officiellement donné naissance qu’à 116 voitures en tout et pour tout : 30 FXX et FXX Evo, 44 599XX et 599XX Evo, et 42 FXX-K et FXX-K Evo. Et là, Ferrari va produire d’un coup dix fois plus d’exemplaires d’une voiture de route, diluant en une seule voiture à la fois la radicalité et l’exclusivité qui faisaient le prestige de la lignée.

D’une XX, cette voiture n’a que le nom. Elle n’est d’ailleurs même pas éligible aux événements du programme XX. Ses performances et sa mise au point remarquables n’enlèvent rien au fait qu’elle ne représente pas le bond en avant qu’on était en droit d’attendre.

Rafa n’a pas claqué un temps pendant que vous étiez là ?

Si, j’étais là quand il a signé le record du tour en 1 min 17,3 s. C’est 1,7 s de mieux que la SF90, ce qui en fait la voiture de route la plus rapide de l’histoire à Fiorano.

Mais aussi la plus lente de toutes les Ferrari XX hormis la toute première FXX de 2005. Et de loin la plus lourde. Je ne vois pas comment le label XX va pouvoir s’en remettre. C’est un choix court-termiste, qui marque sans doute la fin de ce programme dans sa définition originelle, s’adressant exclusivement aux tout meilleurs clients de la marque. Après, à quoi bon perpétuer un programme XX aussi élitiste quand lesdits clients ont maintenant sous la main la 499P Modificata ?

D’accord, ce n’est pas une pistarde. Mais est-ce la meilleure Ferrari de route ?

Non, parce que si j’avais le choix entre ça et une 296 GTB ou GTS, je n’hésiterais pas une seconde. Certes, nous n’avons pas encore conduit cette XX sur la route. On peut seulement s’aventurer à prédire que ce sera une SF90 en plus agile, plus performante et plus expressive, à un prix complètement démesuré.

En savoir plus à ce sujet :

Ferrari SF90 XX

Année
203
Prix mini
770000 €
Type de moteur
Hybride rechargeable
Longueur
4850 mm
Largeur
2000 mm
Hauteur
1225 mm
Poids
1560 kg
Boîte de vitesses
double embrayage
Nombre de rapports
8
Transmission
intégrale
Puissance
1030 ch
0 à 100 km/h
2,3 s.
Vitesse max
320 km/h
Conso
7,2 l/100km
Rejets
178 g/km CO2
Capacité
7,9
Autonomie
25 km

Moteur thermique

Type
Thermique
Nombre de cylindres
8
Cylindrée
3990 cm³
Alimentation
turbo
Type carburant
essence
Puissance
797 ch
Couple
804 Nm

Moteur électrique 1

Type
Électrique
Position
AV

Moteur électrique 2

Type
Électrique
Position
AV

Moteur électrique 3

Type
Électrique
Position
AR