McLaren Senna GTR

L'arme absolue de McLaren sur circuit est-elle aussi fun qu'elle est performante ?

Ollie MARRIAGE • Niels de GEYER
Publié le : 2 décembre 2019

8 10
Un monstre tout à fait fréquentable. Un peu trop, peut-être, pour ceux qui s'attendent à un fauve comme la P1 GTR. Tiens au fait, ça cote combien, une P1 ?

La McLaren la plus rapide sur un tour hors Formule 1, c’est bien ça le pitch ?

Absolument. Et c’est pour le moins ambitieux, puisque cela veut notamment dire que la Senna GTR est plus performante qu’une 720S GT3, autrement dit une vraie voiture de course. De combien ? Plusieurs secondes au tour, selon McLaren, qui ne s’étend pas davantage. Mais bon, deuxième McLaren la plus véloce derrière la monoplace de Carlos Sainz et Lando Norris, ça nous va bien comme cahier des charges.

Ça peut se comprendre… Comme s’y sont-ils pris pour transformer la Senna en GTR ?

Avant toute chose, ils n’ont pas transformé des Senna en ceci. Toutes les Senna routières ont désormais été fabriquées, et c’est maintenant le tour des 75 exemplaires de la GTR. Elles sont en train d’être assemblées à Woking. La dernière devrait sortir des chaînes en janvier pour laisser la place à la Speedtail.

On peut considérer la GTR comme un mélange de Senna et de GT3. Une bonne partie de la suspension est empruntée à la GT3, tandis que l’absence d’homologation routière a permis d’extraire 25 ch supplémentaires du V8 4 litres biturbo, et de laisser les appendices aérodynamiques proliférer.

Combien pèse-t-elle ?

1 188 kg à sec. C’est vraiment très léger dans l’absolu, mais cela représente seulement 10 kg de moins que la voiture de route.

Un peu plus légère, avec un peu plus d’appui et et un peu plus de puissance. On ne peut pas tout à fait parler de révolution, si ?

Sensiblement plus d’appui aéro, tout de même (1 000 kg contre 800 sur a version routière), ce qui va inévitablement vous ralentir en ligne droite. Sans oublier les pneus slicks et le travail de mise au point. Mais effectivement, les chiffres bruts ne sauraient refléter les sensations au volant.

Mais encore ?

Mettons les choses au point. Quelque part dans le dossier de presse, McLaren précise que l’objectif de la Senna GTR est de mettre 95 % de ses performances à la portée de 95 % des conducteurs. En d’autres termes, il serait aussi facile d’approcher ses limites que celle d’une Clio. À la louche. Je sais qu’elle n’en a pas l’air, mais en fait, la Senna GTR est gentille. Je n’aime pas quand une voiture est gentille. Je préfère quand il faut la dompter, qu’elle est suffisamment sauvage pour me donner du fil à retordre par la violence de ses accélérations et l’agressivité de ses réactions. Je suis peut-être un peu vieux jeu, mais c’est ça mon truc.

Si elle est rapide ? Bien sûr, même si ses accélérations sont largement moins impressionnantes que son freinage ou ses vitesses de passage en courbe. À haute vitesse, elle ne rivalise pas avec une 720S, par exemple. Mais regardez les ailerons qu’elle se traîne, aussi. Les freins, eux, sont stupéfiants. Taper dedans à 270 km/h sur la ligne droite des stands à Bahreïn, en appuyant à se claquer le tendon d’Achille, est finalement le seul moment où l’on a le sentiment de brutaliser la voiture. Après ça, c’est juste de la précision et de la finesse. Enfin, il y a les vitesses en courbe. Le meilleur endroit pour sentir le G-mètre s’affoler est le virage 12 du circuit F1, un long gauche en montée sur le quatrième rapport où il faut se faire violence pour passer sans lever le pied, avec la poussée d’adrénaline qui va avec.

Mais c’est faisable. On peut alors effleurer les limites des pneus slicks et de des centaines de kilos d’appui, jusqu’à l’apparition d’une amorce de sous-virage. Mais pour en arriver là, Dieu sait qu’il faut passer fort. La seule raison pour laquelle j’ai osé forcer jusque-là ? C’est un circuit signé Hermann Tilke, avec des dégagements partout. Pour une fois, je ne m’en plains pas.

Des frayeurs, peut-être ?

Une assez sérieuse, à la sortie du virage 12, alors que j’étais en train de freiner et de rétrograder pour le 13. J’avais un peu trop pris confiance. Grosse glissade en entrée, à la corde et jusqu’au début de la sortie du virage 13. Je ne présenterai jamais assez d’excuses à Duncan Tappy, le pauvre pilote d’essai à qui l’on avait demandé de me chaperonner. D’ailleurs je le fais encore une fois : pardon, Duncan. Mais bon, au moins j’ai pu la rattraper. Avec une vraie voiture de course, je ne suis pas sûr que j’aurais réussi.

De temps en temps, j’ai freiné un peu trop tard à mon goût, aussi. Alors qu’on parle d’une voiture qui parvient à prendre l’épingle du virage 1 en freinant à 270 km/h au panneau 170 m… Certes, les F1 freinent au panneau 100, mais tout de même.

Pourquoi est-ce que vous tenez à partager tout ça ?

Pour illustrer à quel point la Senna GTR met en confiance. Parce qu’elle répond exactement comme on le souhaite, au moment où on le souhaite. Parce que plus on va vite, plus l’appui aéro la scotche à la piste, ce qui la rend très sécurisante en ligne droite. C’est une monture sûre et prévisible. Terrifiante à regarder, profondément intimidante au moment où l’on sort des stands, calé au fond d’un baquet en carbone, cramponné au petit volant revêtu de gomme. Mais un demi-tour plus tard, vous avez compris le mode d’emploi. Alors vous allez plus vite. Vous freinez plus tard. Vous passez plus fort. Et vous commencez à faire des erreurs…

La Senna GTR aime être conduite comme une voiture de course et demande donc une certaine technique – notamment dans les virages lents – pour en tirer le meilleur. Vous freinez bien jusqu’à la corde en relâchant progressivement à mesure que le grip aéro disparaît. Toujours en freinant, vous braquez en douceur, et vous attendez. Ce n’est pas ma partie préférée de l’exercice mais si vous remettez les gaz directement, le nez va élargir et gâcher votre belle trajectoire en vous emmenant trop tôt vers les vibreurs de sortie. Vous vous retrouverez avec une trajectoire en U, alors qu’idéalement, avec tout cet appui aérodynamique, le plus rapide est un V.

Donc vous attendez, en maintenant un filet de gaz, et une fois les roues presque droite, godasse. Top tôt ou trop fort, ça risque de glisser un peu, ce qui n’est jamais bon pour le chrono. Heureusement, il y a le contrôle de traction.

À technique particulière, récompense particulière. La Senna GTR n’est pas une voiture de course à proprement parler puisqu’elle n’est homologuée pour aucun championnat. Mais pour les super-riches qui veulent une auto capable de les emmener à des vitesses approchantes, qui ne veulent pas faire la course mais qui apprécient de décortiquer un circuit, de plonger dans la télémétrie et les réglages, c’est une machine fascinante. Elle ne va pas concerner grand-monde mais ça tombe bien, McLaren n’en fera que 75.

À environ 1,5 million d’euros pièce, c’est bien ça ?

Ouaip. Une voiture de course est moins chère, mais elle sera plus brutale, pardonnera moins. Ici, pas de boîte séquentielle à pignons droits, mais une double embrayage à sept rapports. En mode Race, les passages de vitesse se font en douceur, mais basculez en mode Track et ils s’accompagnent d’une coupure d’allumage pour plus de spectacle (à défaut de plus de vitesse). J’aime.

Les accélérations restent un peu trop linéaires à mon goût. Le DRS (qui ouvre alors l’aileron arrière pour réduire l’appui) ne suffit pas à faire la différence. Et même si la Senna GTR fait beaucoup, beaucoup de bruit de l’extérieur, au volant, on se contente quasiment de regarder les diodes s’allumer à l’approche du rupteur. On entend à peine le moteur, couvert par le bruit des pneus et de l’aéro (sans oublier le casque). La plage de puissance est large et ça pousse sans discontinuer jusqu’à la zone rouge, mais on en arrive paradoxalement à rester sur sa faim avec 825 ch.

La P1 GTR faisait 1 000 ch. Elle était moins efficace mais plus bestiale, et autrement mémorable. La Senna GTR, conformément aux promesses de McLaren, est beaucoup plus accessible, plus stable, plus docile.

La voiture de track-day ultime ?

Peut-être bien. J’en ai conduit quelques autres dans le genre, dont l’Aston Martin Vulcan et la Brabham BT-62. Un jour, il faudra qu’on chronomètre tout ça pour savoir laquelle est la plus rapide. Pour le commun des mortels, ce sera très certainement la Senna GTR. Mais ce n’est pas pour ça que je cite ces deux-là. Elles offrent toutes les deux un moteur d’anthologie. Je pense qu’aucune n’atteint le niveau de raffinement et d’efficacité de la Senna, mais les deux paraissent plus sauvages, plus dévergondées.

Des voitures comme celles-ci vous permettent d’en apprendre sur votre personnalité. La Senna n’est pas vraiment ma tasse de thé, par exemple. J’aime mes hypercars avec un peu plus de sang et de tripes, un peu moins de rigueur (j’ai un gros faible pour les WRC, pour vous donner une idée). Mais je comprendrais parfaitement que la précision clinique la Senna GTR vous parle davantage. C’est une prouesse technologique, sans aucun doute. Aller si vite en inspirant une telle confiance, il fallait le faire.

Est-elle vraiment plus rapide que la Senna de route ?

Même si je suis à peu près sûr que la fiche technique répondrait par l’affirmative (si toutefois McLaren daignait publier les chiffres), la version routière reste une réalisation bien plus admirable. Réussir à générer 800 kg d’appui sur une voiture homologuée relève du pur génie. Je ne sais toujours pas ce que j’en ferais si j’en avais une dans mon garage, mais ce dont elle était capable sur circuit avec des pneus de route était assez incroyable. La GTR la surpasse sans surprise, mais pas de beaucoup si l’on considère qu’il s’agit cette fois d’une voiture no limit. Ce qui en dit finalement plus long sur ce que McLaren avait accompli avec la Senna standard qu’avec la GTR.

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