Horacio Pagani : la très grosse interview

Le futur de la Zonda, de Vinci et son œuvre, les sacs à main, les supercars électriques, la microbiologie…

Ollie KEW • Loïc DEPAILLER
Publié le : 14 mai 2019

Il fait beau. C’est normal, je suis dans le nord de Italie, et plus exactement à Modène. Là, je patiente dans le bureau d’Horacio Pagani en attendant son arrivée. Du coup je farfouille un peu partout avec les yeux : ici des miniatures de Porsche 917 Gulf et de diverses variantes de Zonda, là des répliques de casques de Lewis Hamilton, Jorge Lorenzo et Ayrton Senna.

Depuis la fenêtre, je vois arriver Horacio au volant de sa Ferrari F12 tdf. Il traverse le hall d’entrée, serre la main de visiteurs ébahis puis fait des selfies avec deux jeunes fans venus en pèlerinage pour visiter le musée de la marque installé dans une aile de l’usine et renfermant quelques unes des plus jolies Zonda jamais produites.

Après avoir pêché une bouteille de soda dans le frigo à l’entrée de son bureau, il me serre la main, s’assoit en face de moi et fait signe à Giulia – l’attachée de presse de Pagani et sa traductrice – que nous pouvons débuter l’interview.

Horacio, merci de nous accueillir au siège de Pagani Automobili. Je viens tout juste de tomber amoureux de la Zonda Barchetta qui est exposée au rez-de-chaussée. Est-ce véritablement la dernière Zonda que vous produirez ? Si jamais quelqu’un venait vous voir avec un budget illimité en vous demandant de lui construire un modèle unique, vous accepteriez ?

Nous pouvons le faire si un client nous le demande. Mais uniquement en partant d’un modèle existant. D’ailleurs c’est devenu à la mode en ce moment, les clients recherchent des châssis de premières générations de Zonda pour qu’on les modifie à leur convenance.

Qu’en est-il de la Huayra ? Aura-t-elle droit elle aussi à quelques variantes complètement folles ?

Les clients recherchent de plus en plus en plus quelque chose d’unique qui exprimerait leurs goûts personnels. L’ère des Huayra uniques a déjà commencé. Un propriétaire d’une des toutes premières Huayra nous a demandé de procéder à plusieurs modifications très spéciales sur cet exemplaire. Nous allons lui livrer ce mois-ci (ndlr : mai 2019). Le montant total des modifications s’élève à près de 1M$, c’est pour ainsi dire une nouvelle voiture.

Entre la Zonda et la Huayra, seriez-vous capable de me dire quel est votre modèle préféré ? Ou est-ce comme de vous demander de choisir entre vos deux fils Leonardo et Christopher ?

On ne peut pas aimer un de ses enfants plus qu’un autre. Je me sens extrêmement lié à la Zonda. Il y a eu autant de désir que de souffrance autour de sa naissance, et elle représente le début de toute cette aventure. C’est un peu comme avoir un fils après qu’on vous ait annoncé que vous ne pourriez jamais avoir d’enfant. J’en suis très fier car nous avons réussi à produire la Zonda avec très peu de budget.

En termes de qualité d’ingénierie ou de recherche et développement, la Huayra va beaucoup plus loin. Ce projet a été mené avec un budget bien plus conséquent, j’ai eu les mains libres pour exprimer ma créativité, que ce soit au niveau des détails de finition, de l’esthétique ou de la conception technique de chaque pièce qui la compose. Le Roadster Huayra est la meilleure voiture que nous ayons jamais conçue : c’est le premier roadster qui soit plus léger que son équivalent coupé.

Les défis que nous avons rencontrés lors du développement du roadster nous ont permis d’aller au-delà de ce que nous espérions. Les équipes impliquées dans le projet – ceux qui travaillaient sur le moteur, l’électronique et toutes les autres – ont dû faire face à de lourdes contraintes et elles ont toutes trouvé des solutions techniques incroyables.

Avez-vous supervisé l’élaboration de chaque nouvelle Pagani, et seriez-vous prêt à dire non à des requêtes trop extrêmes de la part de vos clients ?

Oui, je leur dirais non. Je l’ai déjà fait… Habituellement, les clients sont assez raisonnés dans leurs choix. Ils ont bon goût et je suis là pour les aider à concrétiser leur vision. Parfois, le processus peut être très long. Pour la dernière Huayra dont je vous ai parlé et que nous allons prochainement livrer, par exemple, la naissance du projet remonte à août 2018 mais nous n’avons figé le design final qu’en janvier 2019. Ensuite, il a fallu plusieurs mois pour procéder à toutes les modifications. Le processus prend d’autant plus de temps que chacune d’entre elles doit être légale et homologuée.

Votre clientèle habituelle roule-t-elle beaucoup avec sa Zonda ou sa Huayra ? Quelle est la Pagani qui a le plus fort kilométrage ?

En moyenne, les clients ne roulent pas beaucoup. Ils poussent parfois jusqu’à 2 500 km tous les ans. Ce sont des collectionneurs donc ils ont plusieurs Pagani et plein d’autres supercars, des Ferrari, des McLaren, des Porsche… Mais il y a toujours le client qui utilise sa voiture tous les jours et engrange une quantité incroyable de kilomètres.

Un peu plus tôt, nous avons put admirer la Zonda R, qui a détenu pendant un temps le record du tour au Nürburgring (6’47”, réalisé avec des pneus slicks en 2010). Pagani va-t-il un jour retourner là-bas et essayer de battre à nouveau le record, ou laissez-vous ce genre de chose à Porsche et Lamborghini ?

Les records sur piste que nous avons battus avec la Zonda R n’étaient pas volontaires. À la base, nous voulions tester de nouvelles pièces et développer de nouvelles solutions techniques pour la Huayra. La Zonda R a d’ailleurs été créée uniquement pour ça. Mais effectivement, après quelques minutes, la Zonda R a roulé plus vite que la Ferrari 599XX – le modèle dérivé de la série qui détenait le record sur le Ring à l’époque.

Aujourd’hui, nous bridons la vitesse maxi de toutes nos voitures. Plusieurs sessions sur circuit sont programmées avec Pirelli dans les mois à venir. Donc il est très possible que nous allions sur une piste et qu’une fois sur place, nous réalisions que nous pouvons battre un record. Mais ce ne sera pas quelque chose que nous essayerons de faire délibérément.

Où testez-vous vos nouvelles voitures ? Est-il vrai que vous faites la mise au point finale de vos supercars sur les routes autour de votre usine ?

Pour la nouvelle Huayra BC Roadster, nous avons sept prototypes. Il y en a deux à l’usine, deux chez Bosch en Allemagne sur un circuit privé interdit au public. Impossible d’y accéder. Les deux autres sont chez Mercedes-AMG (aussi en Allemagne) pour des séances de test et développement. Lorsque nous testons des prototypes sur route, les gens prennent toujours des photos donc les nouveaux moteurs ou les nouvelles pièces sont installés sous une carrosserie de Huayra coupé standard.

A Genève, vous nous avez confié que la Pagani électrique arriverait en 2024 et que la première réaction de vos clients fut de vous dire “ne le fais pas”. Alors pourquoi persévérer dans ce projet ? Est-ce vraiment nécessaire ?

C’est la vie. Tous les constructeurs doivent faire des choses inattendues. Christophe Colomb n’aurait jamais découvert l’Amérique s’il ne s’était pas autant éloigné de chez lui pour partir dans l’inconnu. Vous devez faire face à l’inattendu et anticiper le court terme. Nous devons faire face à de nouveaux défis. Les cinq prochaines années vont être très chargées pour Pagani, la remplaçante de la Huayra est prévue pour 2021 et l’hypercar électrique pour 2024.

Après cela, ralentirez-vous la cadence ? Vous préféreriez prendre votre retraite ou travailler ici jusqu’à la fin de vos jours ?

Et bien, il y a une énorme différence entre ce que je voudrais faire et ce que je dois faire ! J’habite à côté de l’usine et certains jours, j’ai juste envie de rester à la maison avec mes chiens, d’aller me balader dans la campagne ou d’aller faire un tour à vélo. Mais j’ai beaucoup de responsabilités à l’usine alors je vais travailler.

Mais je suis en train d’assembler une équipe qui sera capable de diriger l’entreprise, une équipe qui devient de plus en plus indépendante en termes de design, d’ingénierie, de communication. Aujourd’hui, une de mes plus grandes responsabilités est de créer les conditions nécessaires pour que l’entreprise puisse continuer à fonctionner sans moi. Parce que je ne suis pas seul dans cette entreprise, je dois le faire pour tous les gens qui travaillent ici, pour tous nos clients ainsi que pour tous les gens impliqués avec la marque Pagani.

J’ai aussi plein d’autres projets en tête. Je travaillerai ici jusqu’en 2025 afin de terminer tous les projets que j’ai lancés – je n’aime pas les choses inachevées. Quand j’avais 12 ans, j’ai fabriqué une voiture miniature, elle était taillée dans du bois. Aujourd’hui, je veux créer une vraie voiture basée sur cette miniature et je ne veux pas m’arrêter avant d’avoir achevé ce chantier.

Ensuite, je pense que je vais me lancer dans le design d’une collection de sacs à main féminins. J’aime aussi étudier l’œuvre de Léonard de Vinci alors j’ai prévu d’aller passer du temps à Milan, parce que c’est là-bas que de Vinci a le mieux exprimé son talent en termes d’art et d’ingénierie.

Il y a quelques jours de cela, je suis tombé sur des photos macro de microscope. J’ai vu qu’il existait un microscope très cher – environ 200 000 $ – qui permet de voir l’intérieur de chaque cellule du corps humain, les cellules sanguines. Il est capable de voir le moindre problème dans chaque cellule, même si le cancer se développe à l’intérieur.

Je trouve cette technologie fascinante. J’aimerais bien acheter un de ces microscopes et ouvrir un nouvel centre de recherche dans le coin. C’est très éloigné de l’industrie automobile mais cette technologie enflamme mon imagination.

Merci pour votre temps Horacio. Nous croisons les doigts pour que vous preniez votre retraite le plus tard possible.

Prego, prego [je vous en prie].

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