Schizophrénie, ou épicurisme ? Bentley a décidé d’introduire son langage visuel de l’ère électrique sur… un monstre à douze cylindres, qui devient la voiture la plus puissante de l’histoire de la marque. Après le speedster Bacalar, dont toute la production est partie comme des petits pains, la Batur est une autre Bentley pour collectionneurs.

Elle a toutefois une allure très différente, et pas seulement parce que c’est un coupé. Seuls 18 exemplaires seront produits, déjà tous vendus en amont du lancement le week-end dernier en point d’orgue de la Monterey Car Week.

La Bentley Batur n’est pas juste une Continental GT subtilement recarrossée, c’est potentiellement un tournant pour la marque. Côté pile, c’est la dernière Bentley W12 et l’apothéose de l’ère thermique. Côté face, c’est un reboot stylistique.

À 1,65 million de livres hors taxe (environ 2 millions d’euros), elle est sept fois plus chère que la Continental GT Speed sur laquelle elle est basée. Le W12 6.0 biturbo passe pour l’occasion de 659 ch et 900 Nm à 740 ch et 1 000 Nm grâce à une admission revue, de nouveaux turbos et échangeurs, ou encore une ligne d’échappement en titane. Ce sera le chant du cygne du douze cylindres le plus vendu de l’histoire de l’automobile.

Le châssis hérite de l’antiroulis actif 48 V et des quatre roues directrices de la Continental GT Speed, ainsi que d’un autobloquant piloté électroniquement. La Speed est déjà un outil, la Batur promet d’être la Bentley « la plus dynamique à ce jour. »

Ferrari construit ses voitures spéciales par centaines. Il y aura par exemple 599 exemplaires de la Daytona SP3. Je demande donc à Paul Williams, patron de la division Mulliner, pourquoi il n’y a que 18 Batur au programme, après seulement 12 Bacalar. « Honnêtement, je pourrais en vendre 50 sans aucun problème », sourit-il. Mais à long terme, ce serait dommageable pour l’image de Mulliner, et la cote de ses voitures : la rareté crée la demande.

« Nous privilégions les relations avec les clients. Nous connaissons ces clients. » Si les voitures prennent de la valeur, ils reviendront tout naturellement. Il ne prend pas la peine de mentionner l’exemple de McLaren, qui avait été obligé de revoir considérablement à la baisse la production de son Elva.

« Et puis Ferrari a sous la main toute une gamme de très belles voitures des années 1950 et 1960 dont ils peuvent aujourd’hui s’inspirer. À l’époque, nous étions dans le creux de la vague. » Raison de plus pour que le style de la Bentley Batur regarde vers l’avant.

Juste à temps pour dessiner ses premiers modèles électriques, Bentley a recruté un nouveau directeur du style. Andreas Mindt avait planché sur le magnifique concept Hunaudières de 1999. Il a ensuite fait son chemin dans le reste du groupe Volkswagen. Récemment, on lui doit les Audi Q8 et e-tron GT.

Revenu chez Bentley il y a un an et demi, il a mis ses six premiers mois à profit pour étudier l’histoire de la marque et isoler son ADN visuel. « Pour n’importe quelle équipe de design, avoir l’occasion de redéfinir ses propres règles est le plus passionnant des défis. Nous avons réimaginé le langage esthétique de Bentley, en préservant une continuité tout en changeant drastiquement des éléments clés. »

Une Bentley électrique aura-t-elle toujours un long capot derrière une calandre verticale ? Après tout, ce sont des vestiges de l’ère thermique… Même si les proportions seront forcément différentes de celles d’une voiture W12, « il n’y a pas besoin de montrer que c’est une électrique ». D’ailleurs, les proportions avaient déjà changé significativement à l’arrivée de la Continental GT et de ses quatre roues motrices.

Beaucoup de constructeurs aiment en rajouter dans le style de leurs voitures spéciales, mais la Batur reste sobre. « Une Bentley, c’est subtil. Ça ne crie pas. C’est un fauve au repos, pas à l’attaque. »