Audi RS3 Sportback vs Mercedes-AMG A45 S

Deux compactes frappadingues de 400 ch pour 70 000 euros, mode Drift inclus. Y en a-t-il une pour rattraper l'autre ?

Ollie KEW • Niels de GEYER
Publié le : 7 décembre 2021

Nous sommes en 1985. Vos Air Jordan toutes neuves aux pieds, vous déambulez tranquilou bilou, une K7 d’Etienne Daho dans votre Walkman. Vous n’entendez pas le râle du V12 4.9 à 180° qui approche derrière votre épaule gauche, mais vous ouvrez de grands yeux quand l’une des premières Ferrari Testarossa du pays vous dépasse à hauteur de hanche. 390 ch, ça doit être quelque chose, songez-vous. Pour avoir une idée de ce que représente une telle puissance, il faut être soit trader, soit pilote de chasse. Vous grimpez dans votre Golf II GTI, encore tout émoustillé à la pensée qu’une voiture puisse faire quatre fois la puissance de votre 1.8.

Retour en 2021. Vos écouteurs ne sont plus attachés à un fatras de fils innommable, toute la discographie d’Etienne Daho est accessible en quelques clics sur un petit écran dans votre poche. Les compactes sportives font 400 ch d’origine, et passent de 0 à 100 km/h au moins 2 s plus vite que la Testarossa la plus fringante jamais sortie du parc presse de Maranello.

L’Audi RS3 n’est pas novice à ce niveau de performances. La génération précédente émargeait déjà à 400 ch tout rond en fin de carrière. La nouvelle ne va pas plus haut, même si le couple grimpe quant à lui de 20 Nm (500 Nm). Le simple fait de pouvoir profiter du cinq-cylindres 2.5 turbo encore quelques années suffit à notre bonheur.

Grâce à la mégalomanie d’AMG, la RS3 n’est plus toute seule, et nous voilà aujourd’hui à organiser un match à 800 ch et presque 200 000 euros (options et malus compris) entre deux compactes plus puissantes qu’une 992 Carrera. Voilà au moins deux constructeurs qui auront célébré le moteur thermique jusqu’au bout…

Quoi de neuf sur cette RS3 ? Une calandre encore plus vaste, cela va de soi. D’ailleurs, il n’y a même plus vraiment de carrosserie à proprement parler sur la face avant, juste 3 m2 de grillage façon cage à poules, avec un peu de tôle et d’optiques dans les interstices. Un pigeon kamikaze a abîmé la grille pendant que Greg convoyait la RS3 depuis l’Allemagne. Bilan : 110 euros de réparations. Hors main-d’oeuvre.

La signature lumineuse en damier et la grille factice sur le bouclier arrière font sourire, mais on est en droit de se demander s’il y a vraiment quelque chose de neuf sur cette RS3, troisième du nom. Pour faire court : il y a un mode Drift. Depuis que Ford a greffé un jeu d’engrenages à feu la Focus RS pour amuser la galerie en faisant chasser l’arrière sur demande, il a bien fallu que les allemands réagissent.

L’A45, dans cette version S, a été la première à imiter la Ford. Puis la Golf R, et à présent sa cousine l’Audi RS3. Grâce à un nouveau différentiel arrière à deux embrayages multidisques, la RS3 peut donc maintenant transférer la totalité du couple vers l’une ou l’autre de ses roues arrière. Les Audi, ce n’est plus ce que c’était…

Au début, le mode dédié Torque Rear ne paraît pas très intuitif. La voiture sous-vire d’abord gauchement sur plusieurs mètres quand vous mettez les gaz, avant d’enfin transférer la puissance vers l’arrière pour vous offrir votre petit moment Ken Block. Comme il faut prévoir deux files pour faire partir la voiture puis la ramener, on oubliera assez vite ce mode sur la route. Sur circuit, c’est le pied… à condition d’avoir un budget pneus et plaquettes illimité.

Le mode canaillou de l’A45 (421 ch) fonctionne à peu près de la même manière. Sauf qu’il est mieux caché : quand l’Audi y donne accès via un mode explicite, sur la Mercedes, il faut sélectionner le mode Race, désactiver l’ESP, puis tirer les deux palettes simultanément pour déverrouiller ce niveau secret.

Bref, les fameux modes Drift ne servent pas à grand-chose en pratique. Néanmoins, le nouveau différentiel arrière de la RS3 a le mérite de la décoincer complètement par rapport à sa devancière. Elle devient ainsi – pardon pour le poncif, et la perfidie du compliment – l’Audi la plus amusante à ce jour. Et oui, j’y inclus la quattro et la R8. Audi a enfin conçu une voiture dont on peut vraiment dompter le châssis, au lieu de se contenter de la regarder dévorer la route à vitesse supersonique, seule la force centrifuge vous empêchant de bailler.

Je force un peu le trait, mais ça fait plaisir de voir enfin une RS3 aussi délurée qu’on est en droit de l’attendre d’une supercompacte de 400 ch. Elle est sensible au lever de pied, et ne rechigne pas à se déhancher pour aider à l’inscription. La direction reste totalement muette et beaucoup moins consistante que celle de l’A45, dont on aimerait retrouver le ressenti sur davantage de sportives modernes, mais ce n’est pas une de ces Audi à l’ancienne qui se contentaient de donner le choix entre différents degrés de sous-virage.

Mettez un peu de gaz à la corde et la RS3 se cale docilement sur son train arrière, avec une petite virgule de bon aloi pour mieux pivoter. Restez appuyé et vous sentez avec plaisir les pneus arrière travailler, tandis que l’avant ne moufte pas sur le sec.

« La Mercedes vous rappelle dès qu’elle le peut à quel point une compacte de 400 ch reste quelque chose de délirant, même en 2021 »

Après ça, l’A45 paraît moins subtile. Aussi rapide dans un même virage, mais plus efficace qu’interactive.

Et ce cinq-cylindres, quel moteur ! Désormais filtré dans tous les sens, normes antipollution oblige, il sonne moins rauque qu’autrefois, ce qui ne sera pas forcément un mal pour les riverains de certains quartiers. Mais il conserve le charisme d’un vrai gros moteur à l’ancienne. C’est comme piloter un Messerchmitt Bf 109 avec Apple CarPlay. Son immense plateau de couple lui donne un tempérament on ne peut plus différent du pointu 2.0 de l’AMG, qui ne donne tout ce qu’il a qu’au-delà de 5 000 tr/min. Et 250 tr/min plus haut, c’est fini.

Pour quelques pouillèmes de seconde, l’Audi est la plus véloce, mais ça tient surtout à des transferts de couple plus réactifs entre les essieux. Laquelle choisirais-je pour un dépassement sans arrière-pensée sur une petite départementale trop grasse ? Ça ne fait pas un pli : l’Audi et son punch à tous les étages.

Mais (re)passons un peu de temps avec l’A45S. Cette voiture a beau déjà fêter ses trois ans, elle reste aussi virulente que dans nos souvenirs. Voir complètement psychopathe. L’approche choisie par AMG pour sa compacte sportive – lui greffer le plus puissant quatre cylindres jamais monté sur une voiture de série – lui confère une sauvagerie évoquant davantage les rally replicas nippones qu’une mini-muscle car germanique. Le genre de voiture qui se sent obligée de provoquer toutes les Porsche qu’elle croise. La RS3 est au-dessus de ça.

Garder le gros turbo de la Mercedes en pression demande un peu de travail, si possible en prenant la main sur la boîte via des palettes métalliques délicieusement denses. Mais attention à ne pas se rater : pressez celle de droite un dixième trop tard et vous sentirez vos cervicales craquer dans un crépitement à l’échappement tandis que l’AMG se heurtera de plein fouet à son rupteur. Ici, quand on est en manuel, on est en manuel. Tout dans cette voiture est violent. Le bruit, les passages de rapport, les sièges, et surtout la suspension. Il y a trois modes : Comfort, Sport, et Sport Plus. La position la plus souple correspond au réglage le plus radical sur l’Audi, et ça se corse encore ensuite. À côté, la vie est incroyablement douce à bord de la RS3.

L’A45 est donc une expérience nettement plus physique. Corollaire, on communie davantage avec la voiture. Comme la direction, l’accélérateur et les freins sont plus tranchants. L’auto paraît in fine nettement plus légère, alors que la fiche technique indique le contraire.

Mais elle se montre aussi TRÈS ferme, les bruits de roulement sont omniprésents, le moteur bourdonne en permanence. L’A45 ne se calme jamais. Elle est incapable de faire semblant d’être une Classe A comme les autres, contrairement à la RS3. Elle tient à vous rappeler à tout instant que vous avez payé plus de 70 000 € (90 000, avec le malus…) pour ce qui restera comme l’une des compactes les plus folles jamais commercialisées.

C’est le moment de s’arrêter sur le bas-côté pour parler déco. L’Audi coûte aussi cher que la Mercedes. Entre les deux, une seule offre un intérieur à peu près digne d’un tel tarif, et ce n’est certainement pas l’austère RS3.

C’est bien assemblé, mais le volant et les sièges semblent tout droit sortis d’une A4 Diesel. Idem pour le sélecteur de mode, alors que l’AMG a travaillé ses graphismes et ses animations. Les indicateurs de changement de rapport dans le mode « RS Runway » de l’instrumentation numérique font sourire, mais globalement, c’est déprimant. Dommage, il fut un temps où Audi faisait ça comme personne. Où est passé ce légendaire sens du détail qui donnait aux anciennes RS3 un cachet digne d’une R8 ?

La féroce A45 ne résout pas les problèmes de la Classe A en général (touchpad et écran tactile imprécis, quelques plastiques vraiment moches) mais les aérateurs-turbines en alu pourraient toujours avoir été empruntés à une Bugatti, le volant bardé de métal et d’Alcantara à une AMG GT R, l’éclairage d’ambiance est chiadé, les sièges sont magnifiques et l’interface graphique n’a aucun scrupule à en faire des caisses. Bref, on en a pour son argent. En tout cas pendant une semaine, parce qu’au-delà, l’implacable suspension risque d’avoir réduit tout ça en miettes.

La RS3 est plus pratique. On a plus de place à l’arrière, une meilleure visibilité, et son becquet plus discret ne se gondole pas à chaque fois que vous refermez le – plus grand – coffre. Elle est aussi plus sobre : quand l’A45 affichait 8,3 l/100 km sur autoroute et 11,8 l/100 km en tout, la RS3 s’en tirait toujours avec quelques décilitres de moins malgré son cylindre supplémentaire.

« La RS3 devient l’Audi la plus amusante à ce jour. Et oui, j’y inclus la quattro et la R8… »

Soyons clairs, ce sont deux autos hors du commun, et je ne peux que me réjouir que certains constructeurs osent encore mettre ce genre de teignes en production. L’A45 est un chef-d’œuvre d’ingénierie. Et la RS3, après une décennie d’existence, s’est enfin découvert un sens de l’humour.

Parfois, les allemands mettent tellement d’acharnement à se benchmarker les uns les autres qu’on se demande pourquoi ils s’embêtent à mettre des logos différents sur leurs voitures. Mais ces deux-là sont délicieusement différentes.

Au volant de la douillette Audi, l’idée d’une compacte de 400 ch paraît soudain presque banale. À l’opposé, la Mercedes vous rappelle dès qu’elle le peut à quel point cela reste, même en 2021, absolument délirant, voire injustifiable. C’est probablement celle dont on parlera à nos petits-enfants incrédules dans quarante ans.

Mais à l’instant t, pour rouler au quotidien et savourer ses progrès considérables, c’est la fabuleuse RS3 qui s’impose comme la nouvelle référence des super-compactes sportives.

Photos : Johnny Fleetwood

 

Audi RS3 Sportback

8/10

5 cyl. 2.5 turbo, 400 ch, 500 Nm

Boîte double embr. 7 rap., intégrale

0 à 100 km/h en 3,8 s

250 km/h (290 km/h en option)

1 570 kg

À partir de 9 l/100 km, 205 g/km

À partir de 69 300 euros

 

Mercedes-AMG A45 S

7/10

4 cyl. 2.0 turbo, 421 ch, 500 Nm,

Boîte double embr. 8 rap., intégrale

0 à 100 km/h en 3,9 s, 270 km/h

1 660 kg

À partir de 8,7 l/100 km, 198 g/km

À partir de 70 900 €

 

 

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